

Les discours politiques et médiatiques ont banni le terme "pauvre", au profit de périphrases plus ou moins heureuses.
Il est des mots, en politique, qui semblent brûler la bouche de ceux qui les prononcent. Ainsi, le mot "pauvre" est-il presque systématiquement évité. Pour le contourner, les orateurs rivalisent de périphrases et d'euphémismes. Vous vous souvenez bien sûr de la formule de Jean-Pierre Raffarin : "La France d'en bas". Manuel Valls, lui, parlait volontiers des "p'tites gens", on l'avait évoqué ici. Et dans la plupart des discours politiques, c'est un concours lépine des synonymes : les « plus défavorisés », les « plus modestes », en passant par le très en vogue « ceux qu'on laissés sur le bord du chemin ». Alors pourquoi ne pas parler directement de la pauvreté, puisque c'est de cela qu'il s'agit ?
Emmanuel Macron, dans son grand discours d'hier lui, a plutôt été direct, même s'il est resté prudent : "Être pauvre... comme l'on dit (...)". On note la pondération du terme "pauvre" avec ce "comme l'on dit". Une manière de se mettre à distance d'un terme risqué. Il faut dire qu'Emmanuel Macron avait eu quelques déboires autour du mot "pauvre", lorsqu'il était jeune ministre de l'Economie :
[A propos de l'ouverture de nouvelles lignes d'autocar]
"Quand on me dit les pauvres voyageront en autocar, j'ai tendance à penser que c'est une caricature. Mais les pauvres qui ne peuvent pas voyager, voyageront plus facilement".
Ce propos déclencha une polémique immédiate. D'ailleurs injuste, dans la mesure où Emmanuel Macron était interrogé sur une déclaration de la CGT, qui elle-même avait employé le terme de « pauvres ». Mais évidemment tous les mots ne sont pas reçus de la même manière selon la bouche qui les prononce.
Euphémisation
Pourtant, dans les discours politiques des années 70 et 80, il n'était pas rare d'entendre parler de « pauvres ». Sans que ce soit péjoratif. Simplement comme un état de fait : on parle des riches et des pauvres.
De même, l'on ne parlait pas des "seniors" ou des "aînés" ; un gouvernement pouvait disserter sur la retraite des "vieux". Et l'ORTF pouvait produire un reportage télévisé sans précautions oratoires :
"Un petit vieux à l'heure du marché. 94 ans, encore bon pied bon œil. Dans le porte-monnaie, deux billets de 1000, anciens bien sûr. Ce qu'ils ont chaque jour pour vivre, sa vieille et lui, comme deux millions de Français".
Mais depuis, la grande faucheuse de l'euphémisation, ou du politiquement correct, c'est selon, a raboté le vocabulaire courant.
Alors, concernant le mot pauvre, pourquoi cette évolution ? Est-ce la montée de la défiance envers le personnel politique, qui rend chaque mot potentiellement blessant, stigmatisant, urticant ?
Est-ce le manque de représentativité sociale des responsables publics, qui fait passer des descriptions objectives pour du mépris de classe ? Rappelons ce chiffre : les ouvriers et employés représentent 55% de la population active ; mais 5% des députés.
Enfin, est-ce lié à l'échec des politiques publiques ? Faute de changer la condition des pauvres, on change les mots pour les désigner.
Sur ce sujet, une oreille amicale m'a rappelé la technique oratoire de John McCain, le candidat républicain aux États-Unis en 2008. Pour éviter de parler des pauvres comme d'une généralité, il avait choisi de personnifier le travailleur modeste dans ses discours. Il l'appelait Joe the Plumber (Joe le plombier).
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"Joe le plombier" existe vraiment : il avait interpellé Barack Obama devant les caméras, en pleine campagne. A première vue donc, l'histoire est parfaite en termes de communication politique. Chacun peut s'identifier à Joe le Plombier.
Seul problème : après enquête de la presse, il s'est avéré que Joe le plombier ne s'appelait pas Joe, et qu'il n'avait pas de licence de plombier. Pire, il devait de l'argent aux impôts. En l'espèce, la pauvreté était celle de la propagande du candidat. Propagande qu'on appelle désormais -là encore en euphémisme - du storytelling.
Frédéric Says
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