Le retour des grands ducs

Les présidents de région Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Valérie Pécresse (Île-de-France), le 19 février 2019.
Les présidents de région Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Valérie Pécresse (Île-de-France), le 19 février 2019.  ©AFP - Philippe Huguen
Les présidents de région Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Valérie Pécresse (Île-de-France), le 19 février 2019. ©AFP - Philippe Huguen
Les présidents de région Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Valérie Pécresse (Île-de-France), le 19 février 2019. ©AFP - Philippe Huguen
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Ils dénoncent la stratégie vaccinale du gouvernement et multiplient les apparitions médiatiques : pourquoi une telle omniprésence des présidents de région en ce moment ?

Ils sont partout : télévision, radio, presse écrite. Xavier Bertrand, Renaud Muselier, Valérie Pécresse, Hervé Morin, Marie-Guite Dufay, les présidents de régions peuplent les plateaux et remplissent les colonnes à l’occasion de cette crise sanitaire. 

Le paradoxe ? C’est que le thème de la santé ne fait pas partie de leurs attributions. 

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Ils et elles ont la compétence des lycées, du soutien à l’économie, mais pas celle de gérer les hôpitaux et encore moins celle d’organiser une campagne vaccinale.

Alors pourquoi un tel écart entre cette parole - forte - et ce pouvoir - faible - en matière de santé ? 

D’abord, bien sûr, parce que les exécutifs régionaux ont le sentiment de ne pas être suffisamment associés par le pouvoir national. 

Ils ignorent où se trouvent les doses de vaccins, quand elles arriveront, et où elles seront administrées.

“Travaillons ensemble”, implore Laurent Wauquiez dans le Figaro. Il souhaite co-organiser la campagne vaccinale dans sa région d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Mais bien sûr, il y a une autre campagne qui se profile derrière : les régionales, prévues au mois de juin.

Et comme le covid rend impossible de démarcher les électeurs, de leur serrer la main, de leur offrir des tracts (a fortiori de les réunir pour un meeting), il ne reste plus guère que l’arme médiatique pour se faire voir et se faire entendre. 

D’où cette débauche d’interviews, d’articles et de tribunes. 

Mais pour être audible, il faut aussi se démarquer. Et en la matière, certains n’hésitent pas à sortir de leur rôle de président de région. Ecoutez Xavier Bertrand sur France Inter, le patron des Hauts-de-France : 

"Combien de doses ont été commandées exactement par la France ? Parce que ce que je pense, c'est que nous sommes face à un risque de pénurie de vaccin”.

Un autre élu régional va plus loin. Hervé Morin, en Normandie, veut lui-même s’occuper des commandes de vaccins. Il l’a annoncé hier sur Sud Radio, au micro de Patrick Roger : 

"Je ne vous cache pas que je suis en discussions avec un grand groupe pharmaceutique pour acheter des doses de vaccin - directement - parce que je souhaite que ma région puisse retrouver le plus vite possible une activité normale.”

On peut interpréter cette annonce de deux manières : 

Côté pile, un président de région investi, prêt à tout pour aider sa population, y compris à bousculer les règles, puisque jusqu’à présent, ce ne sont NI les régions ni les Etats qui passent commande, mais l’Union européenne.

Ou bien - option 2 - c’est une déclaration d’affichage politique. Puisque les labos ne vendent pas aux régions, et que de toute façon, ils n’auront pas de doses supplémentaires d’ici au mois de juin, d’ici les élections. Une communication politique qui n’engage à rien.

A rien… Si ce n’est à générer une forme de compétition (de sauve-qui-peut ?) entre les régions. Et demain, pourquoi pas, entre les départements ; après-demain entre les communes.

Ce qui est intéressant ici, ce ne sont pas les gesticulations pré-électorales des uns et des autres. 

C’est de constater à quel point le rôle de président de région a pris du poids au sein de notre République.

Il y a dix ans, au moment de l’épidémie de H1N1 : qui aurait imaginé le président des Pays de la Loire de l'époque, Jacques Auxiette, ou celui de la Lorraine, Jean-Pierre Masseret, faire leurs emplettes de vaccins au nez et à la barbe de l’Etat ? 

Jamais de la vie ! Ce qui s’est passé entre-temps, c’est la fusion des régions, en 2015. Elles étaient 22, elles sont 13 désormais, en métropole, plus vastes, plus larges, plus riches et donc plus... puissantes. 

Cette réforme voulue par François Hollande a en fait contribué à créer des sortes de grands-duchés, comme il y avait les grands féodaux jadis. 

Des hommes et des femmes qui peuvent quasiment parler d’égal à égal avec les ministres. 

C’est si vrai que ceux qui s’imaginent un destin national (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez...) ont choisi non plus de siéger à l’Assemblée pour fourbir leurs armes contre l’exécutif actuel. 

Ils ont choisi de prendre la tête des conseils régionaux. 

Auparavant, pour l’Elysée, le contre-pouvoir se trouvait de l’autre côté de la Seine, à l’Assemblée nationale. 

Désormais, il se trouve de l’autre côté du périphérique, à la tête du conseil régional. 

Frédéric Says