

Un indice : "follow the money"...
Quand Richard Ferrand a détaillé hier la liste des candidats investis par En Marche, il a semblé dégoupiller une grenade.
Il y a eu les couacs. Ceux qui étaient sur la liste alors qu'ils ne le souhaitaient pas : c'est ainsi que le président du Rugby Club de Toulon, Mourad Boudjellal, a dû démentir sa candidature... Il y a eu aussi ceux qui n'y figuraient pas alors qu'ils voulaient en être : François Bayrou estime ainsi que ses amis ont été bien mal servis. Il revendiquait 120 places pour le Modem, il n'en a obtenu que 35, selon des confidences faites hier soir à Carole Barjon, journaliste à l'Obs.
Ajoutez la présence d'un certain nombre de files, de fils, de belles-filles et de beaux-fils... de hiérarques locaux. Cela occulterait presque que la très grande majorité des candidats sont des nouveaux profils, des jeunes et de figures inconnues.
La préparation des législatives n'est d'ailleurs pas toujours plus serein dans les autres partis...
Observez le psychodrame entre les communistes et les Mélenchonistes. Ils ont soutenu le même programme et le même candidat à la présidentielle. Les voilà incapables de monter des candidatures communes dans les 577 circonscriptions du pays.
Les socialistes sont eux aussi au bord de la crise de nerfs. Circonscriptions gelées et menaces d'exclusion pour ceux qui se rapprocheraient de En Marche : des manœuvres qui traduisent moins l'autorité que la fébrilité.
Quant au Front national, les négociations n'ont toujours pas abouti : Nicolas Dupont-Aignan réclame sa part du gâteau en récompense de son ralliement de l'entre-deux-tours, sans résultat pour l'instant.
Alors comment expliquer cette nervosité ambiante ? Jeux d'ambitions, d'égos, d'appareils, bien sûr. Mais aussi l'incertitude créée par la formidable fragmentation des forces politiques (quatre partis aux alentours de 20%, lors du premier tour de la présidentielle). La situation politique donne le sentiment que tout est ouvert. Et chacun veut peser dans cette future assemblée. Mais l'explication est (aussi) ailleurs.
Pour comprendre, il faut garder un oeil sur la trésorerie des partis. "Suivre l'argent", selon l'expression consacrée par le film "Les Hommes du président".
En France, les élections législatives ont une particularité : elles fixent le financement public des formations politiques. Pour les partis, chaque voix, chaque bulletin de vote récolté vaut environ 1 euro 60... par an pendant cinq ans. Une seule condition : au moins 1% des suffrages dans 50 circonscriptions. (Précision : il y a ensuite une deuxième fraction de financement public accordé suivant le nombre d'élus à l'Assemblée).
Lorsqu'on sait cela, on comprend mieux la violence des échanges (" menteur", " recyclage", " exclusion") qui constellent la vie politique ces jours-ci. Cette violence peut s'expliquer de deux manières.
D'abord, certaines de ces formations politiques sont complètement anémiées. Ce financement public est donc une question de vie ou de mort (à des degrés divers, le Parti communiste, Europe Écologie Les Verts, Debout La France).
Ensuite, il y a les forces politiques en dynamique, En Marche ou la France insoumise, qui sont intransigeantes. Pourquoi ? Parce que ce sont des "mouvements", et pas des partis. Ces mouvements ne perçoivent pas les cotisations annuelles de leurs militants ; ils vivent de dons, par définition aléatoires. En d'autres termes, le mouvement est au parti ce que le forfait sans engagement est à l'abonnement France Télécom...
Créés tout récemment, sans trésorerie antérieure, ces mouvements ont donc un intérêt vital à être hégémoniques lors de ces législatives, pour engranger une manne sûre et régulière. Voilà donc pourquoi, à quatre semaines des législatives, la crise de nerfs est surtout une crise financière.
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