Les affaires, cette bénédiction pour François Fillon

François Fillon, le 17 avril 2017 à Nice.
François Fillon, le 17 avril 2017 à Nice. ©AFP - Erick Garin
François Fillon, le 17 avril 2017 à Nice. ©AFP - Erick Garin
François Fillon, le 17 avril 2017 à Nice. ©AFP - Erick Garin
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Et si le feuilleton judiciaire avait été la plus grande chance du candidat de la droite ?

Rien ne vous étonne dans cette campagne ? Je veux dire, si l'on sort de l'hystérie de cette dernière semaine, des invectives croisées, pour regarder froidement la situation : un candidat triplement mis en examen est crédité de 20 % des voix. On s'y est habitué et on a fini par ne plus se poser cette question : comment est-ce électoralement possible ? Dans cette époque qui ne jure que par la transparence, qui exige des politiques une probité à faire passer l'abbé Pierre pour un mafieux balafré, comment une telle situation est-elle envisageable ?

Émettons une hypothèse : l'omniprésence des affaires a en fait rendu service à François Fillon dans cette campagne. De deux manières.

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D'abord, parce que ce feuilleton quotidien a totalement escamoté son programme présidentiel. Oubliée la privatisation partielle de l'assurance-maladie, on préfère savoir s'il a rendu les bons costumes. Occultée la suppression de la durée légale du travail, place à la controverse pour savoir en quelle année Pénélope Fillon a vraiment commencé à travailler pour son mari.

Bref, le récit des affaires fait paravent au programme. Un programme économiquement très libéral que les Français ont toujours rejeté dans les urnes (cf la claque historique reçue par Jacques Chirac en 1988, élu 7 ans plus tard sur la très consensuelle fracture sociale). « Bonne chance pour être élu avec un tel programme », disait d'ailleurs Nicolas Sarkozy de François Fillon avant la campagne.

Occulter les idées pour parler des affaires, à vrai dire tout le monde y trouve un peu son intérêt...

Le monde médiatique a dégoté là une parfaite série à suspense, pas chère, avec ses méchants, ses gentils, ses rebondissements et sa trame narrative : "ira-t-il jusqu'au bout ? Vous le saurez au prochain épisode". Terriblement efficace pour l'audience et moins compliqué, entre deux pages de pubs, qu'une analyse du chapitre assurance-maladie du projet de la droite.

Les adversaires de François Fillon y ont aussi trouvé leur intérêt, bien sûr. Taper sur Fillon, c'est se faire une virginité à peu de frais, distribuer des punchlines faciles dans les meetings et affaiblir un adversaire dans les cordes.

Mais grâce aux affaires, François Fillon n'a pas seulement évité de parler de son programme. Il a aussi capté une colère anti-système, et en particulier anti-média. Ce qui lui a permis de conserver son socle électoral.

Pour comprendre, il faut repenser à cette phrase de Donald Trump, pendant sa campagne :

Même si j'abattais quelqu'un sur la Vème avenue, je ne perdrais pas une voix.

Un phénomène similaire se produit dans l'électorat de François Fillon. Plus la presse, la justice et les partis politiques soulignent les turpitudes du candidat de la droite, plus le vote de ses électeurs se transforme un référendum contre les puissants, les établis, ou perçus comme tel.

La France de 2017 se méfie des institutions, délaisse les médias classiques, ne rejette pas toujours le complotisme. Dans ce climat, la figure de "victime-de-la-bien-pensance" est un moteur électoral puissant, bien plus que l'allure du délégué de classe qui promet de réduire la dette publique.

L'ancien premier ministre propret, au ton monocorde, 35 ans de vie politique, a réussi la prouesse de se présenter en rebelle du système. En martyr d'un complot ourdi par un hypothétique cabinet noir.

Les yeux rivés à cette campagne hypnotique, à la fois très rythmée et très peu dense, où aucune idée n'accroche vraiment, on finirait presque par oublier cette évidence : il existe une France de droite. Puissante, majoritaire lors de plusieurs élections intermédiaires, elle n'a pas disparu, loin de là, sous François Hollande. Une France de droite conservatrice, électrisée par le quinquennat socialiste, révélée à elle-même par la Manif pour tous, mobilisée lors de la primaire de novembre dernier. Une France qui n'est pas soluble dans le progressisme revendiqué par les macronistes. Pas plus que dans l'anti-libéralisme scandé par Marine Le Pen.

Voilà pourquoi le candidat LR n'est pas mort. Attention à ceux qui l'ont enterré trop vite. Les pelletées de terre jetées sur François Fillon lui servent aussi de terreau électoral.