Les médias doivent-ils s’engager derrière un candidat ?

 Le New York Times prend position pour Hillary Clinton (Capture d'écran)
 Le New York Times prend position pour Hillary Clinton (Capture d'écran)
Le New York Times prend position pour Hillary Clinton (Capture d'écran)
Le New York Times prend position pour Hillary Clinton (Capture d'écran)
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Aux États-Unis, plusieurs journaux affichent leur soutien à Hillary Clinton, dont le New York Times, depuis ce week-end. Un modèle ?

« Notre soutien est guidé par son intelligence, son expérience et son courage ». Le New York Times ne fait pas dans la demi-mesure pour justifier son soutien à Hillary Clinton, dans son éditorial de ce week-end. Le quotidien n'a pas attendu le premier débat présidentiel, ce soir, pour afficher son soutien à la candidate démocrate. Avant cela, le Los Angeles Times, le Washington Post et quelques autres avaient déjà fait part de leur préférence pour "Hillary". Alors les médias doivent-ils s’engager ? La question se posera bientôt chez nous, avec cette campagne qui démarre.

A priori, rien de très extravagant à ce que des organes de presse aient leur opinion. Le rôle des médias est déjà précisément de s’engager : de faire le tri, chaque jour, entre l’important et l’anecdotique, entre le durable et l’instantané, entre les faits et la communication... Ou pour le dire de manière quelque peu pompeuse : entre le vrai et le faux. Une entreprise de presse a par ailleurs une histoire, un corpus de valeurs, parfois une orientation… « Un journal est un gaufrier », disait François Mauriac, les faits y sont déformés comme dans un moule - ou un prisme de lecture de la société. C'est ce qui le différencie d’une dépêche d’agence de presse. Bref, pourquoi ne pas aller au bout de cette logique en soutenant ouvertement un candidat ?

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La démarche comporte pourtant de nombreux risques. Le premier : que tous les articles, les reportages du média qui s’est engagé soient ensuite perçus à l’aune de cet engagement.

En 2012, comme à chaque présidentielle, la question s’est posée au sein du journal Le Monde. Devait-il ou non se prononcer en faveur d’un candidat ? Cela avait donné lieu à un long débat au sein de la rédaction. Écoutez :

"Les gens du Monde" (extraits) - Billet politique

33 sec

(Extraits du documentaire Les Gens du Monde, signé Yves Jeuland). La question de l’engagement d’un média derrière un candidat pose plusieurs sous-questions. Notamment : qui décide ? Au sein d’une rédaction, qui vote ? Qui choisit ? Doit-on faire une consultation interne, à bulletins secrets ? Et si deux tiers des salariés soutiennent Monsieur X, un tiers madame Y, doit-on donner 2/3 de l’édito aux premiers et 1/3 aux seconds ? On force le trait bien sûr, mais la réponse n’a rien d’évident.

Ensuite, pour quelle utilité ? N’y a-t-il pas un péché d’orgueil à croire, en 2016, que la prise de position d’un média ait la moindre influence ? En 2005, le monde médiatique était très majoritairement acquis aux arguments en faveur du Traité constitutionnel européen. Ça n’a pas empêché 55% des électeurs de le rejeter.

Par ailleurs, la multiplication des canaux d’information, des réseaux sociaux, dilue encore cette influence. Même si la presse, dans sa diversité, conserve un pouvoir : celui de mettre en avant ou non de thèmes de campagne. Comme le disaient les sociologues américains McCombs et Shaw, dans les années 70, « les médias ne nous disent pas ce qu'il faut penser, mais ce à quoi il faut penser ».

Enfin, un organe de presse qui soutient ouvertement un candidat ne risque-t-il pas de renforcer la rhétorique très en vogue "anti-médias" et "anti-système" ? C’est devenu, aux États-Unis comme en France, un grand classique. Les candidats se sont mis à courtiser non plus les médias, mais ceux qui les critiquent. L’enrôlement des titres de presse derrière Hillary Clinton ne convainc sans doute que les convaincus. Et donne chaque jour des munitions à Donald Trump pour ses diatribes.