

La loi contre la haine en ligne, très contestée au Parlement, a été en grande partie censurée hier par le Conseil constitutionnel.
Cette décision des "sages" n'est pas la plus surprenante, tant cette loi faisait la quasi-unanimité contre elle. De l'opposition aux associations de défense des libertés numériques, en passant par de nombreux professeurs de droit.
A tel point que ce désastre annoncé fait penser à cette mémorable entrée en matière de Jean-Pierre Elkabbach, il y a quelques années, au moment d'interviewer un ministre en fâcheuse posture :
- Quelle couleur vous préférez pour le mur ?
- Quel mur ?
- Comment, quel mur ? Le mur sur lequel votre réforme va se fracasser ! (Jean-Pierre Elkabbach face à André Vallini, 13 mai 2014 sur Europe 1)
Le mur, cette fois-ci, c'est donc le Conseil constitutionnel.
Il faut entrer dans le détail de cette décision - pardon, c'est un peu technique, mais les enjeux sont essentiels.
Que nous dit-elle, cette décision ?
Premièrement : la loi impose un délai trop court aux plateformes numériques pour retirer les contenus illégaux, par exemple racistes ou homophobes. 24 heures seulement, sous peine d'amende.
Or, selon l'institution présidée par Laurent Fabius, ce délai très court va pousser les entreprises comme Facebook et Twitter a supprimer les contenus de manière préventive, pour ne pas prendre de risques.
D'autant que le nombre de signalements reçus chaque jour sera massif. Il faut à chaque fois examiner si le contenu est illégal, il faut jauger du ton, du contexte, peut-être de l'intention.
Bref, dans le doute, les plateformes ne feront pas dans le détail, et supprimeront. Ce qui amène à un recul de la liberté d'expression "disproportionné", estime le conseil constitutionnel.
Deuxième point : le retrait en une heure des contenus à caractère terroriste ou pédophile. Ce délai ne permet pas un recours au juge, et laisse donc le monopole du discernement à l'administration. Ce qui est un danger démocratique, alertent en substance les sages, comme on appelle les membres du conseil constitutionnel.
Cette décision est importante, car elle met un coup d'arrêt à une double dérive possible :
Une justice privatisée et une justice automatisée.
Privatisée car selon ce texte de loi, les grandes entreprises privées du numérique étaient censées décider elles-mêmes du caractère légal - ou non- d'un contenu.
Automatisée, car devant l'empilement des signalements et le délai très court, ces entreprises auraient pu avoir recours à des algorithmes pour se faciliter la tâche.
C'est donc le cœur même de cette loi qui se trouve censuré.
Bien sûr, l'opposition a célébré la nouvelle. Certains de ses membres ont ironiquement rappelé la petite phrase d'Emmanuel Macron devant les députés de la majorité :
« Soyez fiers d'être des amateurs ».
Voilà donc l'amateurisme consacré par l'une des plus hautes juridictions française.
Mais ce serait oublier un peu vite que les majorités précédentes ont subi des revers similaires : la taxe à 75% pour François Hollande, la taxe carbone pour Nicolas Sarkozy par exemple. Censure dans les deux cas.
Il reste que le détricotage de cette loi Avia ne doit pas faire oublier l'essentiel. C'est-à-dire le mal qu'elle est censée combattre : la haine en ligne. Un mal bien réel qui, lui, ne s'auto-censure pas.
Frédéric Says
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