Faut-il commémorer Mai 68, cinquante ans après ?
L’Élysée hésite. Parmi les conseillers d'Emmanuel Macron, certains plaident pour une grande célébration en mai prochain. Une célébration tournée vers l'international, en la mémoire des mouvements étudiants dans toute l'Europe, mais aussi du Printemps de Prague et des grandes manifestations aux États-Unis.
Mais selon les informations du Journal du dimanche, il serait finalement question de... ne rien faire. L'idée d'une commémoration avait suscité des protestations outrées à droite, à l'image de Laurent Wauquiez :
"Honnêtement, je préfère qu'on fête Austerlitz. Qu'on fête Valmy. Qu'on fête l'Appel de Londres (du général de Gaulle). On est la droite ! Mai 68, c'est "il est interdit d'interdire", c'est le début de la déconstruction". (sur LCI)
On perçoit bien le message ici : l'histoire de France c'est d'abord le gaullo-bonapartisme. Et à tout prendre, à entendre Laurent Wauquiez, s'il y a quelque chose à commémorer de mai 68, c'est plutôt... le 30 mai 68, jour de la manifestation massive de soutien au général de Gaulle.
Pour Jean-Luc Mélenchon, mai 68, ce n'est pas - ou pas seulement - la libération des mœurs et la remise en cause de l'autorité. Voici ce qu'il en disait sur France 2 en 2010 :
"Je n'ai pas la même analyse de Mai 68 que la vulgate... Par exemple, "interdit d'interdire" : peut-être que quelques parisiens ont entendu ce slogan ; pour ma part, je ne l'ai jamais entendu. Ce qui me reste à l'esprit, c'est 10 millions de travailleurs qui se mettent en grève (...) c'est d'abord une grande lutte ouvrière".
Benoît Hamon, lui, place les événements de Mai 68 dans la lignée des grandes conquêtes sociales et politiques de la gauche.
"Il y a dans notre pays une petite côterie qui fait l'éternel procès en illégitimité de la gauche ; une côterie qui n'a jamais accepté mai 1936, mai 68, mai 1981. Une côterie qui (...) tente de nous voler mai 2017". (Meeting à Bercy, mars 2017)
Autrement dit, selon Benoît Hamon, on ne reconnait forcément un homme ou une femme de gauche dans la célébration de Mai 68... mais on reconnait assurément un partisan de la droite dans sa remise en cause de Mai 68.
En l'occurrence, un cap avait été franchi en 2007. Pendant la campagne, Nicolas Sarkozy avait tout bonnement parlé de "liquider l'héritage de mai 68". Marine Le Pen ne dit pas autre chose. C'était en mars 2012, en meeting à Marseille :
"Il est de la plus grande urgence de changer tout le logiciel supranational et libertaire, qui a depuis Mai 68 sapé la souveraineté de la nation et de son peuple."
Dans un entretien au Point en 2011, elle allait plus loin. La patronne du FN voyait dans Mai 68 l'individualisme qui ouvrait la porte aux revendications communautaristes. Dont celle "de revendiquer le droit à porter la burka".
Alors que faire de tout ça, du côté de l’Élysée ? Emmanuel Macron, qui est né 9 ans après 68, peut-il ignorer cette période de bouleversements ? Il est vrai que l'année 2018 s'annonce déjà chargée en commémorations : centenaire de l'armistice de la 1ère guerre et 60 ans de la constitution de la Vème république.
Dans ses vœux télévisés du 31 décembre dernier, Emmanuel Macron avait établi une priorité : "la cohésion de la Nation". Le souvenir de Mai 68 peut-il être un élément qui conforte cette cohésion, et non qui divise ? A ce jour, l’Élysée n'a pas trouvé comment.
Frédéric Says
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