Nicolas Sarkozy était hier soir sur TF1. L'ancien président est venu protester contre sa condamnation pour corruption. Il demande à être traité comme n'importe quel justiciable... et il le dit sur le plateau du journal de 20 heures.
Hier soir, Nicolas Sarkozy n'a pas ménagé sa peine pour convaincre qu'il était victime d'une terrible erreur judiciaire.
L'un de ses premiers mots ? "Harcèlement". Celui des enquêteurs. Avec "220 heures de garde à vue", se plaint l'ex-président.
"Vraiment, on n'est plus devant un tribunal ! Ca relève d'autre chose. D'un déséquilibre... Parce que quand c'est moi dont il s'agit, certaines personnes perdent tout sens commun".
Pendant plusieurs minutes, Nicolas Sarkozy égraine ses griefs contre le Parquet national financier.
Il règne là un léger fumet de trumpisme, version policée. Car s'il se présente en victime des juges, l'ex-chef de l'Etat prend soin de l'insinuer mais de ne jamais le dire ouvertement :
Gilles Bouleau : - "vous pensez que [les juges] vous font payer quelque chose ?
Nicolas Sarkozy : - je ne peux pas le penser... et je ne peux pas le dire..."
A traduire par : « je ne peux pas le dire mais je n'en pense pas moins ».
Un argumentaire qui ferait presque oublier les questions légitimes que pose ce procès, en particulier sur les écoutes de conversations entre un avocat et son client.
Précisons par ailleurs que Nicolas Sarkozy a fait appel et qu'il est présumé innocent jusqu'à une éventuelle condamnation définitive.
Empathie
Autre méthode rhétorique déployée : l'identification. Nicolas Sarkozy prend le téléspectateur à témoin. Lui assure qu'il pourrait être à sa place. Il regarde la caméra pour appuyer sa démonstration. Cela, bien sûr, pour susciter l'empathie.
"C'est une injustice. Je me battrai jusqu'au bout pour que la vérité triomphe. Et je ne le fais pas simplement pour moi. Je le fais parce que ceux qui nous regardent doivent savoir : ce qui m'arrive pourrait arriver à n'importe lequel d'entre eux. On me condamne en écoutant 4500 de mes dernières conversations téléphoniques. En les découpant avec des ciseaux, en les mettant bout-à-bout, pour me condamner. Je demande à ceux qui nous écoutent : « souvenez-vous de vos 4500 dernières conversations téléphoniques ».
Et c'est vrai, chacun peut se sentir concerné, chacun pense à ses propres conversations téléphoniques.
La limite de cet argument, c'est que bien peu des téléspectateurs communiquent avec une ligne secrète ouverte sous un faux nom, en l'occurrence Paul Bismuth.
L'autre limite, c'est que bien peu de ces justiciables peuvent venir au journal télévisé pour se plaindre du cours de la justice.
Bien sûr, cette médiatisation n'est bien sûr pas absurde ; il s'agit d'un ancien président. Il a d'ailleurs été jugé comme tel, puisque les magistrats, dans leur délibéré, défendent une peine sévère en raison de l'exemplarité qui devrait être celle d'un ex-chef de l’État.
Cette caisse de résonance médiatique lui permet de développer à satiété un autre élément de langage, sur cette condamnation pour corruption : "pas un centime" n'a transité :
"On me dit c'est un pacte de corruption. Et la corruption, où est-elle ? Y a pas un centime !"
Effectivement, il n'y a pas un centime, puisque les juges estiment que la monnaie d'échange n'était pas des euros mais un poste à Monaco pour le magistrat indiscret, en échange d'informations sur les procédures judiciaires en cours.
Pas un centime, donc. Un argument que Nicolas Sarkozy met en regard avec un autre poste de dépenses :
"Des dizaines de magistrats, des dizaines de policiers, des commissions rogatoires dans tous les coins du monde ! Il faudra d'ailleurs qu'un jour, ceux qui ont engagé ces actions disent au contribuable français combien cela a coûté !"
En bref, Nicolas Sarkozy s'indigne de ce "quoi qu'il en coûte" à son égard.
Résumons : la justice est injuste, inefficace, indiscrète et donc coûteuse.
Dans son interview récente au Figaro, Nicolas Sarkozy évoque son agacement pour la société actuelle ; une "société de l'horizontalité", regrette-il, lui qui ne jure que par l'autorité, la verticalité.
Pourtant, précisément, en dénigrant des magistrats, il participe de ce mouvement qui sape la verticalité des institutions.
Curieux éloge de l'autorité, tout en oubliant de respecter celle de la justice. Une défense "quoi qu'il en coûte".
Frédéric Says
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