Pourquoi les anglicismes envahissent-ils le langage politique ?

Les anglicismes dans le langage politique, un problème "à adresser" ?
Les anglicismes dans le langage politique, un problème "à adresser" ?  ©Getty - Nazar Abbas
Les anglicismes dans le langage politique, un problème "à adresser" ? ©Getty - Nazar Abbas
Les anglicismes dans le langage politique, un problème "à adresser" ? ©Getty - Nazar Abbas
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On va checker tout cela.

Cette semaine, les autorités françaises ont dévoilé la nouvelle carte d’identité. Elle sera, nous dit-on, plus petite et plus sûre. De la taille d’une carte de crédit, avec une puce, qui contient les empreintes digitales. 

Mais sur ce nouveau document officiel, c’est un autre détail qui a suscité la polémique. 

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L’apparition de l’anglais. En effet, à côté des mots “carte nationale d’identité”, on peut lire : “identity card”. 

Cette traduction, regrettent certains, serait le signe d'un abandon de souveraineté. 

J’avoue que cette polémique m’a laissé plutôt froid.

En tout cas, si l’on veut s’interroger sur la place de l’anglais dans notre vie publique, il me semble qu’un autre phénomène mériterait bien plus notre attention, sinon notre courroux. 

C’est la place des anglicismes. Ils ont peu à peu envahi le monde de l’entreprise - où les start-up s’organisent en open space, et où les managers veillent au team-building

Mais voici que l’invasion ne s’arrête pas là : le langage politique accueille lui aussi de plus en plus d’expressions (mal) importées de la langue de Shakespeare. 

Ecoutez par exemple la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, chez nos confrères de France Info : 

"Vous savez, mes parents ont reçu cette dose d'Astra Zeneca... Et je leur dis d’être confortables.”

Etre confortable… Rien à voir avec le fait d'être bien assis dans un canapé. C'est la traduction mot-à-mot de l’expression “feel comfortable”, c’est-à-dire se sentir (mentalement) à l’aise. 

Le mot "déceptif" est lui-même déceptif 

Autre anglicisme de plus en plus présent, et par conséquent de plus en plus pénible : 

Le mot “déceptif”... C’est vrai après tout, pourquoi utiliser le bon vieux “décevant” ? Trop simple ?

Ecoutez par exemple Hervé Morin : 

“La seule question qui se posera pour le président de la République, c'est (...) le risque d’être extrêmement déceptif, au bout du compte”.

Certes, Hervé Morin est élu de Normandie, il est donc tout proche du Royaume-Uni… mais ce n’est pas une excuse. "Déceptif" est dérivé de deceptive mais attention, c’est un faux ami… Deceptive ne signifie pas “décevant”, mais “trompeur”. Voilà un terme qui porte bien son nom. 

Autre anglicisme, plus discret, plus pardonnable : “Nous sommes impactés” (to impact), au lieu de “nous sommes touchés, affectés, atteints”. 

N’oublions pas “implémenter” plutôt que "mettre en place" ; ainsi que le fameux “ça fait sens”, décalque de “it makes sense”.

Somme toute, on a parfois l’impression que la vie politique ressemble à une série Netflix mal doublée. 

Si cette tendance se confirme, on peut imaginer de nouvelles expressions. 

Pour évoquer les “corps intermédiaires”, parlera-t-on des “go-between” de la République ? 

Et pourquoi ne pas requalifier le chef de l’Etat en "CEO de la marque France" ? 

Le phénomène ne se limite pas, bien sûr, à notre pays et nous sommes même parfois épargnés. 

Par exemple, nous parlons de "confinement". Mais de nombreux pays autour de nous, comme l’Italie, ont eux choisi le mot “Lockdown”. 

Bien sûr, ces anglicismes ont des avantages : ils permettent souvent de mieux synthétiser une idée. 

Mais la langue politique, en incorporant ces barbarismes, gagne en efficacité ce qu’elle perd en naturel. 

Comment expliquer cet essor des anglicismes dans la vie politique ? 

D’abord, ils progressent dans toute la société, la politique fait partie de la société, c’est le contraire qui serait anormal. 

Ensuite, c’est la conséquence du renouvellement générationnel : depuis 2017 et la tendance "dégagiste", l’Assemblée nationale est plus jeune, les députés de la nouvelle génération ont davantage voyagé, ont plus appris de langues étrangères, ont plus absorbé de références culturelles diverses. 

Enfin, c’est aussi l’effet de la sociologie des élus nationaux. Avec le renouvellement macroniste, ce sont en grande partie des cadres issus du secteur tertiaire qui ont accédé aux responsabilités politiques. L’usage de ce franglais y est plus naturel, plus courant que dans d’autres professions.

Tiens ! En faisant la liste des anglicismes en plein essor, je m’aperçois que j’en ai oublié un - il figure pourtant sur le podium des plus horripilants. 

“Nous devons adresser ce problème”. Adresser est ici utilisé à la place de "résoudre", de "gérer". 

Adresser un problème, c’est la traduction mot-à-mot de l’anglais “to adress an issue”.

Allez, je vous confesse un petit moment de réconfort pendant l’écriture de ce billet. Mon correcteur orthographique souligne en bleu l'expression “nous devons adresser ce problème”. Tout n’est donc pas perdu. 

Frédéric Says

L'équipe