Pendant que d'autres sèment, elle attend la moisson. Et puis cela lui évite de parler des tambouilles internes et des casseroles judiciaires.
En apparence, tout se déroule comme dans les rêves de Marine Le Pen. Ses thèmes de prédilection bourgeonnent partout.
L'on ne peut plus allumer une chaîne d'info sans entendre parler du voile. Sur les réseaux sociaux, les pro et les anti monopolisent la discussion, en s'écharpant dans un climat de guerre civile numérique.
Cette ambiance favorise évidemment les propos les moins nuancés, les plus violents. Samedi dernier, dans une manifestation devant la chaîne Cnews pour dénoncer les harangues d'Eric Zemmour, ce dernier fut traité de « bâtard », de « monstre », de « virus » (et autres joyeusetés).
Vous entendez ce bruit ? C'est Marine Le Pen qui se frotte les mains. Dans ce climat électrique où la vindicte fait office de langue commune, qui essaye encore d'en revenir aux questionnements ? A la raison ? A l'examen dépassionné ? Pas grand-monde.
Qui s'intéressera, par exemple, à cette étude de la fondation Jean-Jaurès (réalisée avec l'IFOP) sur les discriminations vécues par les musulmans en France ? Il en ressort que 40% des personnes se disant musulmanes estiment avoir fait l'objet de discriminations au cours de leur vie. En tête : logement et emploi. N'y a-t-il pas là un vrai sujet ?
A lire aussi, la tribune de Didier Leschi, invité hier des Matins, qui rappelle que le culte musulman s'exerce bien plus facilement qu'il y a vingt ans, grâce aux ouvertures de mosquées, souvent avec l'aide des pouvoirs publics.
Mais dans l'atmosphère actuelle, tous ces éléments qui échappent à la polarisation absolue, du « tous coupables » ou du « tous victimes », tous ces éléments de nuance sont aussi visibles que l'autocritique dans un discours de Donald Trump : c'est-à-dire assez peu.
Moisson
Et quand il y a une courte accalmie dans la tempête sur le voile, immédiatement lui succèdent les violences urbaines et l'immigration, deux thèmes sur lesquels le gouvernement insiste.
Bref, avec tout ça Marine Le Pen doit se régaler, vivre sa vie rêvée, quand tout semble conspirer pour lui dérouler chaque jour quelques mètres de plus du tapis rouge vers la présidentielle de 2022.
D'ailleurs, on entend très peu la présidente du Rassemblement national. Sans doute toute à sa jubilation silencieuse. Pendant que d'autres sèment, elle attend la moisson. Et puis, cela lui évite de parler des tambouilles internes et des casseroles judiciaires, comme chacun sait peu ragoûtantes.
Mais tout compte fait, en voyant le gouvernement s'approprier tous ses thèmes traditionnels, Marine Le Pen est-elle si heureuse que cela ? La séquence que nous vivons rappelle les années 2006-2007.
A l'époque, Nicolas Sarkozy marque à la culotte le Front national - ou en tout cas l'affronte sur son terrain. Pendant la campagne, le candidat Sarkozy promet un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Ce faisant, il dépouille Jean-Marie Le Pen d'une partie de son électorat, retombé à 10% des suffrages au premier tour de la présidentielle.
Est-ce le calcul d'Emmanuel Macron ? Est-il en train de s'aligner sur le Rassemblement national ?
Pour la première question, sans doute. Pour la seconde, non. Certes, le chef de l’État singe la "droite dure" quand il utilise le terme « droits-de-l'hommistes ». Mais sur le fond des propositions, il faut n'avoir jamais lu un programme du Front national pour tracer un signe égal avec Emmanuel Macron, même celui qui s'exprime dans Valeurs actuelles.
Le parti Lepeniste prévoit le rétablissement du droit du sang, la fin totale de la bi-nationalité, l'arrêt complet du regroupement familial, la suppression pure et simple de l'Aide médicale d’État, sans oublier le référendum sur la peine de mort que le parti a longtemps défendu.
On peut bien sûr regretter l'inflexion droitière du quinquennat, sans pour autant établir des équivalences qui participent de la confusion générale.
Reste que l'exécutif tente, par certains côtés, de dépasser le parti Les Républicains par la droite, sur la route de 2022. D'ailleurs Nicolas Sarkozy avait proposé les quotas d'immigration, sans jamais les mettre en place.
Alors Emmanuel Macron est-il en train d'affaiblir le RN, ou au contraire de participer à son hégémonie ?
C'est l'une des ambivalences de ce qu'on appelle la triangulation (c'est-à-dire de récupérer les thèmes de l'adversaire pour le déstabiliser). Triangle, c'est aussi la forme du panneau routier qui dit : attention danger.
Frédéric Says
L'équipe
- Production