

La "souveraineté" irrigue les différents programmes politiques pour les élections européennes. Mais tous les partis ne placent pas ce concept au même niveau.
Préférence nationale ou préférence européenne ? Voici résumé à gros traits l'un des choix proposés aux électeurs lors du scrutin européen du 26 mai.
Écoutez les discours des principaux responsables : plus personne n'ose soutenir une ouverture supplémentaire au marché, à la dérégulation, à l'intégration économique mondiale.
Au contraire, chacun des programmes insiste sur le retour de la souveraineté. Tout dépend ensuite du niveau où l'on place cette souveraineté.
Il y a à cet égard un jeu de miroir troublant entre les programmes d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen. Si l'on se plonge dans ces deux programmes, on se rend compte que sur beaucoup de thèmes, Emmanuel Macron propose à l'échelle de l'Europe... ce que Marine Le Pen propose à l'échelle de la France.
Au milieu du gué
Plusieurs exemples. D'abord le régalien. Ces deux projets plaident pour un vaste plan de recrutement de douaniers. Chez Emmanuel Macron, il s'agit de mieux garder les frontières européennes ; chez Marine Le Pen, de protéger davantage les frontières françaises.
Même parallèle dans le domaine économique. Le président français, dans sa tribune parue dans 28 pays, propose une « préférence européenne », c'est à dire favoriser les entreprises du continent pour les marchés publics. Marine Le Pen veut : « Instaurer un patriotisme économique (...) en réservant la commande publique aux entreprises françaises » (proposition 37 de son programme).
Préférence européenne ou préférence française, toujours, face aux multinationales. Emmanuel Macron souhaite « sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales, la protection des données et le juste paiement de l’impôt ».
Le programme de Marine Le Pen promet d'« interdire l’importation et la vente de produits provenant de l’étranger qui ne respectent pas les normes imposées aux producteurs français » et organiser « un contrôle des investissements étrangers qui portent atteinte aux intérêts nationaux » (points 36 et 39). Bien sûr, tout n'est pas transposable, mais le parallèle, à mesure que vous examinez les propositions, est frappant. Quels enseignements en tirer pour le scrutin qui vient ?
1. La situation actuelle de l'Union européenne ne satisfait pas grand monde : c'est une sorte d'entre-deux, qui déçoit à la fois les fédéralistes européens et les souverainistes patriotes.
2. La notion de souverainisme est électoralement porteuse, puisque plus aucun parti ne la rejette.
3. La prochaine élection européenne va se jouer entre ces deux conceptions tranchées : une souveraineté hexagonale ou un État européen, qui se mettrait peu à peu en place.
Dans ce contexte, difficile pour les partis plus nuancés de trouver leur positionnement. Comment le parti socialiste axera-t-il sa campagne, dont on sait les divisions depuis le référendum de 2005 ? Quels mots seront ceux de la droite, tiraillée entre En Marche et le Rassemblement national ? Il est évident que Laurent Wauquiez ne pourrait plus aujourd'hui tenir le discours de Jacques Chirac à la fin des années 70 :
"Cette Europe de l’impuissance, cette Europe ouverte comme une passoire à toutes les crises du monde, cette Europe non européenne, mais dominé par les intérêts germano-americains, (...) cette Europe mollusque, sans corps et sans dessein véritable, (...), je le dis avec calme et détermination : cette Europe-là nous ne l’accepterons jamais !”
Un discours ensuite porté par Philippe Séguin mais progressivement abandonné par la droite dite de gouvernement. La France Insoumise a beaucoup travaillé la question de l'Union européenne, pourra-t-elle concilier le refus des traités actuels et l'incertitude qu'ouvrirait une rupture avec ceux-ci ? Que feront les Verts, traditionnellement très fédéralistes ?
Par les temps qui courent, la politique est trop souvent rabaissée à des jeux de personnes et du mauvais boulevard. Mais le scrutin qui vient offre bel et bien une question de fond passionnante pour les citoyens : à quel niveau voulons-nous collectivement placer notre souveraineté ?
Frédéric Says
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