Emmanuel Macron surveille désormais les membres du gouvernement grâce à une "appli".
On l'a appris hier : Emmanuel Macron dispose d'une application grâce à laquelle il peut surveiller l'activité des membres du gouvernement. Plus précisément, cette appli le renseigne, ainsi qu'Edouard Philippe, sur le degré d'exécution des réformes.
Par exemple, dans le secteur de l'éducation, combien de classes ont été dédoublées dans les quartiers prioritaires ?
Cet instrument développé par le gouvernement doit servir, nous dit-on, à s'assurer que les transformations sont visibles dans le quotidien des Français.
Bien sûr, l'aspect "coup de communication" saute aux yeux.
Le message sous-jacent est le suivant : l'exécutif impose des objectifs et des résultats à ses ministres, comme les entreprises en imposent aux employés. Après tout, les membres du gouvernement ne sont-ils pas les employés du peuple français ?
Scoop
Intéressante aussi, la sémantique : on parle de "transformation", de "taux d'exécution". Le moyen d'y parvenir - une appli mise à jour en permanence - renforce aussi l'image disruptive et moderne dont se pare Emmanuel Macron.
D'ailleurs, pour qui aurait des doutes sur le coup de com', il suffit de constater que plusieurs médias ont revendiqué ce scoop sur l'existence d'une telle application : "c'est une information Europe 1", proclame cette radio, "Info BFM TV", assure la chaîne, "info Le Figaro", indique le quotidien...
Bref, l'information ne vient pas d'un rendez-vous confidentiel au sous-sol d'un parking comme dans le film « Les hommes du président ».
Classement
Mais là n'est pas le plus important : cette information est intéressante par la question plus large qu'elle soulève. Au fond, qu'est-ce qu'un bon ministre ?
Est-ce celui qui fait voter le plus de lois ? Est-ce celui qui défend le gouvernement dans les médias, celui qui se déplace le plus sur le terrain, celui qui suscite le moins de polémiques ? Pas simple de trancher.
Prenons un cas concret. D'un côté, un secrétaire d'Etat qui déjeune chaque jour avec les journalistes. De l'autre, son collègue qui s'enferme dans ses dossiers avec un plateau-repas. Il y a de fortes chances que le premier bénéficie d'une présence médiatique plus flatteuse : fait-il pour autant mieux son travail ?
Nicolas Sarkozy, qui avait fait de la culture du résultat son mantra, avait tenté une autre méthode. Il avait missionné un cabinet privé pour évaluer chaque membre de son équipe gouvernementale. Ecoutez cet extrait du JT de 20 h de TF1 qui commence avec la voix de François Fillon, alors chef du gouvernement. [extrait sonore]
La culture du chiffre pour une République managériale. L'initiative fut éphémère : passé cette première année du quinquennat Sarkozy, plus personne n'entendit parler de ces évaluations.
A moins que la solution ne vienne d'observateurs professionnels de la politique. En 2008, un jury composé de politologues et de journalistes s'était réuni pour noter l'équipe gouvernementale. [extrait sonore 20 heures de France 2 en juillet 2008].
Problème : qui évalue les évaluateurs ? La question se pose d'autant plus que la voix que vous venez d'entendre est celle de Dominique Reynié, politologue renommé à l'époque, qui quelques années plus tard deviendra candidat pour l'UMP. Alors les notes attribuées étaient-elles celles d'un analyste impartial ou d'un futur prétendant à l'investiture d'un parti ?
Peut-être qu'une application numérique comme celle utilisée par Emmanuel Macron, avec des données objectives, permet de sortir de ce piège ?
La surveillance 2.0 exercée par Emmanuel Macron est utile si elle questionne l'application des réformes. Trop souvent, l'action publique est caricaturée, cantonnée au vote d'une loi, au tumulte à l'Assemblée nationale.
Quand la poussière retombe, personne ne s'aperçoit que les décrets d'application n'ont pas été publiés, et que cette loi n'est donc que virtuelle.
Ce qui est intéressant, quand on fait une recherche dans les archives, c'est que cette frénésie de l'évaluation n'existait pas jusqu'aux années 2000.
Cette pression sur le résultat est indexée sur la montée de la défiance envers les institutions politiques, obligées de prouver toujours plus leur efficacité.
Peut-être est-elle aussi liée à la fin du cumul des mandats. Jadis, les responsables politiques étaient à la fois ministres, maires et présidents de région : ils étaient donc évalués régulièrement par le vote de leurs électeurs. Avec le non-cumul, ce sont les cabinets d'audit qui s'en chargent.
Cette irruption des méthodes du secteur privé dans les affaires publiques raconte enfin une époque où tout doit être mesurable, quantifiable, notable, évaluable... Demain, les citoyens seront-ils invités à noter les ministres sur leur smartphone, entre une et cinq étoiles ?
Frédéric Says
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