"Que feriez-vous à ma place ?"

Le Premier ministre Edouard Philippe a reçu les chefs de partis pour une consultation, le 20 mai 2020 à Matignon.
Le Premier ministre Edouard Philippe a reçu les chefs de partis pour une consultation, le 20 mai 2020 à Matignon.  ©AFP - Thomas Coex
Le Premier ministre Edouard Philippe a reçu les chefs de partis pour une consultation, le 20 mai 2020 à Matignon. ©AFP - Thomas Coex
Le Premier ministre Edouard Philippe a reçu les chefs de partis pour une consultation, le 20 mai 2020 à Matignon. ©AFP - Thomas Coex
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Le débat sur la gestion de la crise sanitaire reste vif, mais la pondération et la nuance gagnent du terrain ces derniers temps.

La crise que nous vivons suscite depuis quelques jours une relative cure d'humilité dans la sphère publique.  

Dans la presse, tout d'abord, où ce virus "dont on ne sait pas grand-chose" pousse davantage au doute fécond qu'aux assertions trompeuses.  

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Et si la pondération n'est pas toujours la qualité première de ceux qui commentent, quelques archives télévisées pas si anciennes ressortent bien vite... pour montrer que le péremptoire d'un jour est souvent le ridicule du lendemain. Vaccin assuré contre les certitudes définitives.

Parmi ceux qui nous gouvernent et ceux qui aspirent à le faire, aussi, le ton a baissé d'un cran.  

Ecoutez par exemple François Baroin, l'une des principales figures de l'opposition, membre du parti Les Républicains et président de l'Association des maires de France, quand on lui demande de commenter la gestion de l'épidémie par l'exécutif :  

"J'ai été amené à gérer des crises, c'est difficile. Quand on n'est pas aux affaires, quand on n'a pas toutes les informations, il faut être prudent, car on risque d'être démenti quelques instants plus tard".

François Baroin sur Europe 1, à la tonalité très apaisée. Et dans son camp, certains font même leur mea culpa.  

Conscient d'être allés trop loin dans la critique, Christian Jacob, le patron du parti LR, a reconnu hier que son coup de gueule du mois de mars était un peu excessif.  

A l'époque, il avait qualifié de « coup d’État » la possibilité d'un report des municipales, rien de moins !

« Le mot était un peu trop fort », a-t-il rectifié chez nos confrères de LCI.   

La France insoumise, elle aussi, a délaissé les attaques pour se concentrer sur les contre-propositions.  

Certes, la « concorde nationale » rêvée par Emmanuel Macron n'est qu'une chimère lointaine, mais la température du chaudron politique a légèrement baissé.  

Modestie

Au sein de l'exécutif également, d'ailleurs, le ton a changé. Edouard Philippe ne cesse de répéter qu'il ne sait pas tout. Et cette posture d'humilité n'est sans doute pas pour rien dans sa progression dans les enquêtes de confiance. 

Emmanuel Macron, lui aussi, a délaissé les coups de menton et le champ lexical de la guerre.  

Au lieu des allocutions derrière son bureau, il ouvre les portes des réunions techniques avec le monde de la culture ou avec les restaurateurs.  

Moins surplombant, plus précis. Il est passé du général en chef au logisticien. Même si les rechutes sont toujours possibles. Comme ici, sur BFM TV, quand le président est interrogé sur le manque de masques :   

"Nous n'avons jamais été en rupture. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a eu des manques, il y a eu des tensions."

On peut débattre sur la différence entre les notions de rupture et de pénurie ; si tant est que les soignants aient subi la seconde et pas la première. Mais cette déclaration détonne avec la consigne générale d'humilité, un mot apparu plusieurs fois dans la bouche même du chef de l’État.   

Bien sûr, cette baisse générale de la tension n'est pas à confondre avec une trêve politique.  

De la France insoumise aux Républicains, des Communistes au Rassemblement national, l'opposition ne sera pas magnanime lors des futures commissions d'enquête - et elle aura raison de ne pas l'être.  

Mais en attendant, elle surveille ses coups, elle les modère. 

D'une part, pour ne pas paraître cynique et sembler souhaiter l'échec des politiques publiques, face à cette crise sanitaire.  

D'autre part, parce que les partis d'opposition ont pris la dimension de ces événements. Ce qui pouvait passer (au début du mois de mars) pour un soubresaut de l'actualité est bel et bien une période historique.

D'où la gravité qui s'impose. 

Interrogation

Dans son livre Le spectateur engagé, Raymond Aron raconte qu'un dialogue a changé à jamais son regard sur la politique.  

Il est encore tout jeune et échange en privé avec un ministre. Celui-ci écoute son analyse, puis lui répond : « tout cela est très bien, mais que feriez-vous à ma place ? ». Et Aron relate l'inconfort dans lequel l'a placé cette interrogation.  

"Que feriez-vous dans cette crise inédite ?" Pas simple... Voilà une question qui explique sans doute le voile de modestie qui nappe le débat public depuis quelques jours.  

Gageons qu'elle ne durera que le temps du doute... c'est-à-dire jamais très longtemps dans le feu de la bataille politique.  

Frédéric Says

L'équipe