Le Rassemblement National recueille aujourd’hui le vote des classes populaires actives et peu diplômées. Exactement comme le Parti Communiste il y a 50 ans. C’est ce que révèle une étude réalisée par le politologue Jérôme Fourquet pour la Fondation Jean Jaurès.
A un an de l’élection présidentielle, les enquêtes d’opinion se succèdent. Et comme en 2017, elles placent la candidate du Rassemblement National, Marine Le Pen, aux avant-postes, en position de se qualifier pour le second tour.
Comment cette formation politique en est-elle arrivée là ? Et qui vote pour le Rassemblement National ? C’est à ces deux questions que tentent de répondre une étude réalisée par le politologue Jérôme Fourquet et que vient de publier la Fondation Jean Jaurès.
D’abord, il faut partir du constat que l’implantation du FN devenu RN dans le paysage politique français est profonde et durable. En 1988, Jean-Marie Le Pen avait déjà recueilli 14,4% des suffrages et ça n’a cessé de progressé depuis.
Il n’y eût qu’un seul accident, en 2007, quand Nicolas Sarkozy a réussi à siphonner une partie de son électorat. Le vote Front National est alors tombé à 10%. Mais avec Marine Le Pen, il a repris son essor pour atteindre aujourd’hui environ 25% d’intentions de vote à la prochaine présidentielle.
Le Rassemblement national capitalise sur le sentiment de relégation culturel et social
Pour expliquer ce qui s’est passé, Jérôme Fourquet emprunte à Emmanuel Todd sa notion de "modification de la stratification éducative".
Ce que dit Todd, c’est que dans les années 1980, il y avait beaucoup plus de non-bacheliers que de diplômés de l’enseignement supérieur. Et il était relativement aisé de trouver du travail quand on n’avait pas suivi de cursus au-delà du baccalauréat.
Trente ans plus tard, ça s’est inversé. Il y a plus de diplômés de l’enseignement supérieur que de non-bacheliers ou de personnes qui n’ont que le baccalauréat. Et si vous n’avez pas le bac, ou tout juste le bac, vous ne pouvez bien souvent prétendre qu’à un travail peu intéressant et mal rémunéré.
Ce phénomène, cette évolution, a connu une traduction politique. Les peu diplômés se sont mis à voter massivement pour le Front National qui a réussi à capitaliser sur la colère, la rancoeur et le sentiment de relégation culturel et social.
Les chiffres le montrent de manière significative. Entre 1988 et aujourd’hui, le vote en faveur du FN a bondi de 20% chez les peu diplômés (bac et non bac), tandis qu’il n’a pratiquement pas progressé chez les personnes ayant un diplôme de l’enseignement supérieur.
Ça signifie que les ouvriers et les employés se sont mis à voter de plus en plus pour le Front National. 20% des classes populaires avaient offert leur voix à Jean-Marie Le Pen en 2002. Aujourd’hui, elles votent Marine Le Pen à hauteur de 40%. C’est considérable.
On peut le Rassemblement National d'aujourd’hui au Parti Communiste des 1970
C’est la comparaison à laquelle se livre Jérôme Fourquet dans cette étude. Et il se réfère à ce que disait à l'époque le politiste, Georges Lavau, du Parti Communiste. Georges Lavau, en 1969, parlait de la "fonction tribunitienne" du Parti Communiste. En ce sens, affirmait-il, qu’il réussissait "à défendre les catégories plébéiennes et à leur donner un sentiment de force et de confiance".
Autrement dit, expliquait Lavau, le PCF jouait le rôle du tribun de la plèbe de la République Romaine. Il s’adressait et représentait "des catégories sociales exclues ou se sentant exclues" des systèmes politique, économique et culturel.
C’est exactement ce rôle que joue aujourd’hui le Rassemblement National, affirme Jérôme Fourquet, il est devenu le nouveau tribun du prolétariat, le nouveau tribun de la plèbe.
Une autre évolution décrite par cette étude révèle qu’on a beaucoup plus tendance à voter pour le Rassemblement National entre trente et cinquante ans que quand on est plus jeune ou quand on est plus vieux. Ce n’était pas le cas dans les années 80 où le vote FN était assez homogène entre les classes d’âge. Nous étions aux alentours de 15% pour tout le monde, jeunes, moins jeunes et plus âgés. Aujourd’hui c’est différent. les classes d’âge intermédiaires sont beaucoup plus attirées par le vote RN.
La raison en est que ce sont bien souvent des actifs, avec des responsabilités parentales, qu’ils ont des charges financières, des remboursements de crédits ou des paiement de loyers. Et quand les revenus sont limités, ils ont le sentiment, beaucoup plus que les jeunes et les retraités, de contribuer au fonctionnement de la collectivité sans en recueillir les bénéfices.
Ca génère, là encore, rancœur et frustration et ça se traduit par un vote en faveur du Rassemblement National beaucoup plus fréquent à trente ou quarante ans que quand on a dix-huit ou soixante cinq ans.
Voilà, donc, ce qu’est devenu aujourd’hui le vote en faveur du RN et de Marine Le Pen. Un vote provenant en grande partie des classes populaires qui se sentent exclues, reléguées, fragilisées économiquement et culturellement. C'est comme si le Rassemblement National, à l’image du Parti Communiste en son temps, participait aujourd'hui à une forme de nouvelle lutte des classes.
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