Tous décentralisateurs !

Tous décentralisateurs !
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Face à Emmanuel Macron, les partis d'opposition jouent la carte des "territoires" et de la décentralisation.

En politique comme en toute chose, se succèdent des modes. Celle de cet automne-hiver s'appelle la décentralisation. Dé-cen-tra-li-ser : pas une interview de leader politique sans ce mot d’ordre. Principalement d’ailleurs dans les rangs de l’opposition - ou plutôt des oppositions. "Il faut donner le pouvoir aux régions", s'exclame Jean-Christophe Cambadélis dans le journal Le Monde daté d'aujourd'hui. Selon l'ancien patron du PS, "le jacobinisme d’Emmanuel Macron" et la "vision technocratique de Bercy" sont des "impasses." De son côté, Jean-Luc Mélenchon, jacobin revendiqué, ne va pas aussi loin. Pour autant, son discours a évolué sur la question. Le leader de la France insoumise s’est même réjoui de la victoire des nationalistes corses. Sur son blog, il affirme ne pas voir d’inconvénient à l’autonomie réclamée par les nationalistes. Quant à Marine Le Pen, en déplacement dans le Puy-de-Dôme, ce week-end, elle a fustigé "un gouvernement qui abandonne ses campagnes au profit des mégapoles". A droite, Laurent Wauquiez, président de région, se pose en vigie des territoires, contempteur des "palais dorés parisiens", qu’il accuse d’être "déconnectés".

Les voici donc à se positionner en réincarnation de Gaston Defferre, en émules de Jean-Pierre Raffarin ; deux hommes à qui l’on doit les grandes vagues de la décentralisation des compétences (un peu moins celle des financements, mais c’est une autre histoire). 

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Comment expliquer cette passion décentralisatrice ? 

Passons rapidement sur le fait qu’il y a un aspect comique à voir Jean-Christophe Cambadélis et Laurent Wauquiez plaider pour la dilution des responsabilités... alors qu’eux-mêmes, à leur poste, ont toujours pratiqué le centralisme.  Le PS, sous Cambadélis, a multiplié les consignes de vote nationales, "descendues" depuis Paris. Laurent Wauquiez, tout récent président de LR, a composé de sa main l’organigramme des principales instances dirigeantes des Républicains.  

Mais ce retour en grâce de la décentralisation, à défaut d’être parfaitement étayé, est facilement explicable. 

Il y a d’abord la part de jeu politique, de communication. Face à un Emmanuel Macron perçu comme ultra-centralisateur, décrit par ses adversaires comme l’incarnation de l’élite parisienne technocratique, les oppositions jouent la contre-programmation, comme on dit dans l’univers de la télé. S'il est "parisien", alors ils seront "régionaux".

Cela place Emmanuel Macron dans une alternative complexe : face aux apôtres de la décentralisation, rester inflexible, c’est leur donner raison dans leur constat. Lâcher du lest, c’est leur donner raison dans leur solution. 

La tonalité de son déplacement en Corse aujourd'hui et demain nous en dira plus. Pendant sa campagne, il avait proposé sur place "un pacte girondin", sans développer davantage. 

Il n'y a pas que cela dans le calcul des nouveaux convertis à la décentralisation... 

Pour les partis de "l'ancien monde", les collectivités locales... c’est tout ce qui reste. A droite, les trois principaux leaders des Républicains sont aussi présidents de région : Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, Pécresse en Île de France, Bertrand dans les Hauts de France. Le PS dirige lui toujours 5 régions et de grandes agglomérations.

Il y a donc chez ces partis l'idée de regagner à Strasbourg, Lyon ou Nantes quelques parcelles du pouvoir perdu à Paris. 

Enfin, en vieux marins de la politique, ces opposants sentent d’où vient le vent. Les revendications régionales soufflent partout, de la Catalogne à la Flandres, en passant par la Lombardie. En France, 2018 sera l’année de vérité pour la Corse mais aussi pour la Nouvelle-Calédonie. Alors face à l’essor régionaliste, les partis rejouent Les mariés de la tour Eiffel, de Cocteau :  « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ».

Frédéric Says

L'équipe