L'histoire retiendra peut-être le dimanche 9 octobre 2016 comme l'avènement de la dépolitisation du politique. Ludovic Piedtenu nous raconte son dimanche.
- Ludovic Piedtenu Journaliste, correspondant permanent de Radio France en Allemagne, ancien chef du service politique de France Culture
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Si je succombais moi aussi à l'intime et à la vacuité, si je laissais aller mes sentiments, je pourrais vous dire à la façon d'Arnaud Montebourg hier soir dans "Une Ambition intime" cette émission de M6, série d'entretiens d'un nouveau genre avec la classe politique que j'ai pris le métro M7 pour me rendre au Zénith de Paris assister au meeting de Nicolas Sarkozy.
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Et même si la salle s'y prête, je n'allais pas à un spectacle. J'avais cette ambition intime d'y écouter un discours politique. Sur le fond, je n'ai pas été complètement déçu. Quelques propositions émaillaient son propos : deux référendums, on allait me donner la parole doublement, j'étais, moi citoyen, flatté, mis en avant, opposé aux élites politico-médiatiques. Et surtout le candidat m'invitait à rire.
Nicolas Sarkozy - Meeting Zénith de Paris
14 sec
C'était donc en réalité un spectacle. Un one-man show quasi-comique. En 1980, dans "Le pouvoir sur scènes", Georges Balandier écrit que "la théâtralisation est le fonctionnement même du politique". Il va même plus loin :
"Plutôt que de théâtralisation, il vaut mieux parler, de théâtocratie, c'est à dire du gouvernement par les apparences, par le jeu des acteurs, par la dramatisation et par la relation spectacle."
En 1980, 36 ans plus tôt, Georges Balandier avait déjà en tête, les opérations-séduction de Valéry Giscard d'Estaing recevant 3 éboueurs sénégalais au petit-déjeuner à l'Elysée ou s'invitant à dîner chez des Français, il fallait donner de la modernité, rapprocher l'homme du peuple. La télévision, TF1, offrait de 85 à 89 l'émission "Questions à domicile" où Anne Sinclair se proposait d'interroger les politiques dans le confort de leurs maisons. Il fallait marcher dans les pas des Kennedy. Jacques Chirac s'est laissé filmer en vacances. Et Nicolas Sarkozy a donné une ampleur démesurée au phénomène de vedettisation, de peoplisation du politique en étalant sa vie privée, sa vie amoureuse tout comme l'a fait, dans une moindre mesure, François Hollande. Là nous parlons des Présidents. En 2016, avec "Une ambition intime" la chaîne M6 monte d'un cran en permettant à tous les candidats putatifs d'étaler leur vie privée.
Nicolas Sarkozy - Une ambition intime - M6
39 sec
Encore le rire, encore le spectacle... On ne se donne plus la peine de comprendre les événements, on se contente de regarder vivre cette classe politique qui nous embarque dans son story-telling. Cette belle histoire qu'un politique devrait désormais construire pour recueillir les suffrages du peuple.
Pourquoi ?
Peut-être par épuisement de l'interview politique classique. Peut-être à force de confusion idéologique. L'effacement de la pertinence des clivages nous empêche de distinguer tel ou tel avec des éléments de fond, des éléments programmatiques. Il nous faudrait donc nous réfugier, pour faire notre choix, sur les attitudes, les goûts, ainsi ai-je appris hier soir que Marine Le Pen adorait jardiner. Je pourrais donc affiner mon vote en m'identifiant aux loisirs, aux décisions personnelles des uns et des autres, aux choix du prénom des enfants. Cette émission consacre la dépolitisation du politique. Elle comble le vide sidéral par des opérations de communication, ne laissant jamais entendre du fond. Et ce ne sont pas quelques déclarations larmoyantes sur fond de musiques sirupeuses qui vont réenchanter la politique. Ce serait une folie de croire que l'info-divertissement serait une réponse au désenchantement démocratique. Que le banal, le pathos, les sourires, vont changer quoi que ce soit dans la relation citoyen / politique. D'ailleurs n'a-t-on pas atteint une mise en abyme certaine quand vers 22h hier soir, Arnaud Montebourg déclare :
"La peoplisation, c'est une manière de faire diversion" Arnaud Montebourg - Une ambition intime - M6
14 sec
Et c'est bien là le problème. Tout est dit. Savez-vous pour terminer qui écrivait ceci ? Je vous ai donné plus qu'un indice au début, je parlais de Georges Balandier, 1980.
"Le mal démocratique, aujourd'hui, écrivait-il, c'est l'anesthésie cathodique de la vie politique".
L'anthropologue a quitté ce bas monde à l'âge de 95 ans, il y a 5 jours à peine. Cela lui aura permis d'éviter ce bien sombre dimanche de politique spectacle, mais aussi de connaître cette part de mon intimité, de ce vécu que j'ai choisi de vous livrer et comme le politique d'une certaine façon de vous imposer.
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