100% pur ius, une histoire du droit romain : épisode 1/4 du podcast Histoire du droit

Cinq siècles avant notre ère, quelle forme les Romains ont-ils donné au droit ?
Cinq siècles avant notre ère, quelle forme les Romains ont-ils donné au droit ? ©Getty - Alfredo Dagli Orti/De Agostini
Cinq siècles avant notre ère, quelle forme les Romains ont-ils donné au droit ? ©Getty - Alfredo Dagli Orti/De Agostini
Cinq siècles avant notre ère, quelle forme les Romains ont-ils donné au droit ? ©Getty - Alfredo Dagli Orti/De Agostini
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Le droit romain désigne généralement le droit produit sous la République romaine et l'Empire, entre 509 avant J.-C. et 476 après J.-C. Tout au long de ce millénaire, le ius, oral et écrit, évolue et se fixe peu à peu. Pourquoi est-il resté si essentiel dans l'histoire du droit ?

Avec
  • Soazick Kerneis Professeure d'histoire du droit et du droit romain à l'Université Paris Nanterre
  • Robert Jacob Juriste et historien, directeur de recherche honoraire du CNRS et professeur émérite des universités de Liège et Saint-Louis de Bruxelles

Qu’est-ce que le droit ? Il s’agit des "des règles régissant les rapports des hommes en société, et impliquant une répartition équitable des biens, des prérogatives et des libertés", indique le Trésor de la langue française. Avec ces règles, il est possible de vivre ensemble, un peu comme une recette de cuisine dont il faut respecter les étapes, un peu comme pour un jus de viande. D’ailleurs, le ius ou le jus latin, le droit, ne serait-il pas étymologiquement relié au jus alimentaire ?

L'invention du droit, limiter le pouvoir arbitraire

Pour voir plus clair dans la longue histoire du droit romain, il faut en revenir à quelques repères chronologiques, la République romaine et l’Empire romain, mais aussi aux grands textes qui ont contribué à la notoriété du droit romain. La Loi des XII Tables, vers 450 avant notre ère, est l’un des premiers corpus de lois romaines écrites, un texte fondateur pour le droit écrit. "Les XII Tables sont le résultat d'une révolte plébéienne (...), explique l'historienne du droit Soazick Kerneis. Les plébéiens demandent la divulgation du droit, de façon à mettre un terme à l'arbitraire des magistrats. Le droit donne les mêmes droits à tous les citoyens, qu'ils soient patriciens ou plébéiens."

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Le code de Théodose, en 438, ou le Corpus juris civilis (corpus de droit civil) de l’empereur Justinien, publié vers 530, et qui contient le célèbre Code de Justinien, sont d’autres grands jalons de l’histoire de la codification du droit romain, des sources de transmission qui seront ensuite utilisées jusqu’au Moyen Âge, et à terme, contribuent à dessiner les contours de notre droit contemporain.

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Le droit romain, un processus d'hybridation

Poser la question du droit à Rome implique également de mieux comprendre l’organisation politique romaine, son système de citoyenneté, et ses institutions, ainsi que la société romaine, ses interdits, ses rapports de pouvoir et de domination. Il existe ainsi une classe de juristes professionnels, les jurisconsultes, qui jouent un double rôle d’enseignement et d’expertise auprès des citoyens. Soazick Kerneis souligne la plasticité du droit romain : "Les Romains n'ont pas entendu imposer un droit. Ils ont accueilli d'autres formes juridiques. Ce processus d'hybridation explique la richesse et la postérité du droit romain. Les pratiques se sont développées à partir d’une base. Les juges ont accueilli les coutumes que les gens ont eux-mêmes développées."

Le système juridique romain est complexe. L’une des distinctions les plus fondamentales qu’il comprend, qui a influencé notre droit par la suite, est celle qui oppose ius civile ou ius civile quiritium, le droit des citoyens, qui s’applique à tous les Quirites et règle la vie dans la cité, et ius gentium, le droit des gens, qui règle les rapports entre les citoyens romains et les étrangers, individus ou nations, et qui a pu à ce titre être considéré comme une prémisse du droit international. Le droit romain fait également la différence entre ius privatum, le droit privé, qui protège les intérêts des individus, et ius publicum, le droit public, qui protège les intérêts de l’État romain.

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Du "jus" au "droit", que nous apprend l'étymologie du terme "ius" ?

Les historiens ne s’accordent pas tous sur les origines et la genèse du ius romain. Pour Robert Jacob, le droit romain a une existence pré-civique, et essentiellement orale, bien avant la fixation de certaines normes dans un texte comme la Loi des XII Tables. Dans son livre Les Formes premières du droit en Occident I. La parole impérieuse, il tente de découvrir l’origine et la genèse du droit romain, et s'appuie notamment sur l'étymologie pour y parvenir. Il fait ainsi un rapprochement entre deux significations du mot ius, qui peut vouloir dire en latin soit "droit", soit "jus", pour mettre en évidence une anthropologie du liquide, observée dans les sociétés qui n’ont pas recours à l’écrit, et qui doivent donc trouver moyen de passer un accord, de conclure un traité, et d'établir des normes sans recourir au contrat écrit. Robert Jacob fait un détour par l’anthropologie des sociétés amérindiennes, étudiées notamment par Claude Lévi-Strauss, et en arrive à la conclusion que les techniques de production de la norme dans les sociétés orales passent souvent par un paradigme de la cuisson et du liquide. Dans les sociétés amérindiennes, on conclut ainsi un traité après avoir participé à un rituel qui implique, par exemple, de faire bouillir un liquide, ou de manger ensemble un aliment cuit. Robert Jacob y voit une indication pour mieux comprendre la société romaine et le droit non-écrit qu’elle produisait, qui était ius, "droit", parce qu'il était ius, "jus". "Dans la théorie que je développe, précise Robert Jacob, la séparation du juridique et du religieux n'est pas le produit d'un processus historique, mais une désacralisation qui se produit dans les rituels organiques du ius*. Une fois le sacrifice terminé, le juridique s'inscrit dans une temporalité qui est conçue comme profane."*

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Pour en parler

Soazick Kerneis est professeure d'histoire du droit et du droit romain à l'Université Paris Nanterre, directrice du Centre d'Histoire et d'Anthropologie du Droit (CHAD).
Elle a notamment publié :

Robert Jacob est juriste et médiéviste, directeur de recherche honoraire du CNRS, rattaché au Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, professeur émérite d’histoire du droit aux universités de Liège et Saint-Louis de Bruxelles.
Il a notamment publié :

Le Pourquoi du comment : histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter  ici.

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Références sonores

  • Archive de l'émission Art et magie de la cuisine, RTF, 8 octobre 1956
  • Lecture par Daniel Kenigsberg d'un extrait la Loi des XII Tables et d'une tablette de la fin du Ier siècle de notre ère
  • Extrait de la série Roman Empire de Richard Lopez, 2016
  • Générique de l'émission : Origami de Rone