

Un club de sport fondé en 1880 devient pendant des décennies la colonne vertébrale de la culture des Saxons, minorité allemande arrivée en Transylvanie au XIIe siècle. Avec la pratique du ski et de la randonnée dans les Carpates, cette association façonne aujourd'hui encore la culture saxonne.
- Catherine Roth Maîtresse de conférences en sciences de la culture et de la communication à l’Université de Haute-Alsace
Qui sont les Saxons de Transylvanie, en Roumanie ? En avril 1936, dans le bulletin Politique étrangère, Nicolas Iorga, ancien Président du Conseil de Roumanie, expose les différentes hypothèses sur l’origine de cette minorité : "D’après la théorie pangermanique, ces Saxons, partis des rives de la Moselle, se seraient arrêtés en route et auraient annoncé qu’ils se rendaient sur les terres fertiles du roi de Hongrie : ils auraient aussi déclaré que ceux qui le voulaient pouvaient se joindre à eux. Ils se seraient donc ainsi groupés et seraient venus s’établir en Transylvanie, pour y former des établissements germaniques continus. Mais les partisans de la thèse contraire ont un argument décisif. Le dialecte des Saxons de Roumanie est partout le même. Nulle trace ne décèle, dans le langage, l'influence originelle d’autres régions de l'Allemagne." L’hypothèse paraît donc peu probable, mais cette évocation nous permet d’entamer un beau voyage dans le temps, jusqu’aux Carpates.
Construire l'identité saxonne grâce à la montagne
Les Saxons, minorité allemande en Transylvanie, mentionnent souvent le Club Carpatique Transylvain (Siebenbürgischer Karpatenverein ou SKV en allemand), comme un moteur de leur sentiment d’appartenance à ce groupe. L’association fondée en 1880 a pour but d’encadrer et d’organiser sorties en ski et randonnée à travers les Carpates mais aussi de fédérer l’identité saxonne. Le SKV porte une sorte de nationalisme culturel qui a forgé pour les Saxons une histoire et une image d’eux-mêmes à partir du dernier quart du XIXe siècle, alors que l’Empire austro-hongrois leur retire toute autonomie politique. Les sports de montagne qui occupent dès lors les Saxons consistent aussi en un inventaire de leur territoire, qui devait être celui de leur nation.
La chercheuse Catherine Roth souligne que "la Transylvanie est une région multiculturelle depuis toujours. En Transylvanie vivent des Roumains, une forte minorité hongroise, des Allemands. Il y a aussi eu beaucoup de Juifs jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, également des Roms, des Serbes et des Croates ; toutes ces minorités ont vécu en bonne intelligence, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de guerres de religion en Transylvanie. Les gens vivaient les uns à côté des autres selon le principe multiculturel qui est : on ne se mélange pas, mais on ne se bat pas".
Catherine Roth raconte la façon dont l'identité saxonne est recomposée en même temps que les pratiques sportives naissent dans les Carpates. Les refuges et les chemins de randonnées s’installent dans ces montagnes qui constituent alors la frontière de la Hongrie, pendant que les Saxons se confèrent des caractères distincts de ceux de leurs voisins. La chercheuse évoque le fait que "la montagne est la partie totalement inconnue du territoire transylvain, on n'y est jamais allé, il va falloir la conquérir et la connaître (...). Ainsi, les Saxons, dès les années 1930, font du ski et commencent aussi l'escalade qui se développe beaucoup après la Seconde Guerre mondiale ; on devient alors très alpin et les Saxons sont de bons alpinistes". Ils considèrent que "la montagne c'est magnifique pour apprendre la nation avec plaisir. Quand vous êtes une nation sans État, vous n'avez pas de carte d'identité disant votre culture. La carte du SKV est une forme de carte d'identité".
Le ski, sport de masse dans les Carpates
Après la Seconde Guerre mondiale, les traces du SKV sont effacées par la Roumanie devenue communiste. Ski et randonnée dans les Carpates se transforment en sport de masse alors que les Saxons perdent leur droit à revendiquer, même aux détours des chemins de montagne et dans les refuges, leurs particularismes.
Pendant la guerre froide et plus encore lorsque l’Empire soviétique s’écroule, cette minorité fuit la Roumanie pour se réfugier en Allemagne. Deux clubs redonnent vie à ce lien filial entre sports de montagne et "essence" saxonne. L’un se trouve en Allemagne et réunit des Saxons nostalgiques de leur région d’origine. L’autre reprend le nom de SKV dans une Transylvanie qui a perdu presque tous ses Saxons.
Pour en parler
Catherine Roth est maîtresse de conférences en sciences de la culture et de la communication à l’Université de Haute-Alsace (UHA).
Elle a notamment publié :
- Naturaliser la montagne ? Le Club Carpatique Transylvain, XIXe – XXIe siècle (Presses Universitaire de Rennes, 2022)
- La Nation entre les lignes. Les Saxons de Transylvanie et la question des identités (Presses Universitaire de Rennes, 2022)
Références sonores
- Extrait du film Dracula de Francis Ford Coppola d'après l'œuvre de Bram Stoker, 1992
- Archive sur une randonnée dans les Vosges sur les pas d'Émile Gallé dans l'émission Lorraine midi, 1999
- Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait dru roman L'Accident de Mihail Sebastian
- Archive de Roger Frison-Roche, auteur de Premier de cordée et ancien guide de haute montagne, France Culture, 1990
- Lecture par Olivier Martinaud du roman La Bascule du souffle d'Herta Müller, traduction de Claire de Oliveira, 2009
- Archive sur une famille de paysans roumains après la chute du régime communiste, Grand Angle, France Culture, 1990
Générique de l'émission : Origami de Rone
Le Pourquoi du comment : histoire
Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.
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