De siècle en siècle, la figure historique de Clovis a servi les discours politiques. De la dynastie mérovingienne qui forge sa renommée autour du roi franc aux mythifications de l'Église ou de la république, décryptage d'une icône française.
- Régine Le Jan Historienne française, spécialiste du haut Moyen Âge
- Laurent Theis Historien, éditeur et critique
En 1913, dans son Histoire de France pour le cours élémentaire, Ernest Lavisse raconte les Mérovingiens. Chaque chapitre se termine par un petit résumé ; celui sur "Les Francs en Gaule" est édifiant : "Quatre cents ans après la conquête de la Gaule par les Romains, les Francs vinrent s’établir en Gaule. Ils choisirent pour roi Clovis en l’année 481. Clovis n’était pas chrétien, mais il épousa une chrétienne, Clotilde. Il se fit baptiser et devint maître de toute la Gaule." L’utilisation de "et", conjonction de coordination, est lourd de sens : "et devint maître de toute la Gaule." S’agit-il de la conséquence du baptême ou de la simple continuité chronologique, au sens de "puis" ? Histoires de récupérations historiques : comment la figure de Clovis a servi les discours politiques, depuis les Mérovingiens jusqu’à la république ?
Un mythe historique malléable
"Nous sommes nés en tant que peuple, en tant que nation, en tant que royaume, c’est la même chose, d’un mariage. Pas n’importe quel mariage. Le mariage d’une princesse, qui était une sainte, et d’un roi, qui était un guerrier", écrivait en 2013 Jacques Trémolet de Villers dans le quotidien catholique Présent, proche du Front National. Cette princesse, c’est Clotilde, princesse burgonde et chrétienne ; ce guerrier, c’est Clovis, roi des Francs de la dynastie mérovingienne. En 2013, alors que le "mariage pour tous" déchaîne les passions, Clovis et Clotilde sont de nouveau convoqués dans l’espace public en tant que parents et fondateurs de la France chrétienne.
"L’avantage de Clovis est qu’on en sait davantage [sur lui] que sur son prédécesseur, mais en même temps pas suffisamment. Il est plastique. On peut le réinterpréter, le modeler et l'adapter aux circonstances et aux périodes", relève l'historien Laurent Theis.
L’instrumentalisation de la figure de Clovis, de son épouse, de son baptême est un lieu commun. Dès le haut Moyen Âge, les Carolingiens - qui ont pourtant ravi le trône aux Mérovingiens - commencent à nommer leurs enfants Ludovicus, variante de Clovis qui donne ensuite le traditionnel nom royal de "Louis". Plus tard, les monarques choisiront de se faire sacrer à Reims, là où l’illustre Franc fut baptisé. Sous la Troisième République, Clovis est intégré à un récit national en pleine construction.
"À la période moderne, le baptême de Clovis est constitué comme l'élément fondateur de la monarchie chrétienne (la France, fille aînée de l'Église). C'est dans cette perspective que les révolutionnaires républicains détruisent la sainte ampoule et le symbole de l’union entre le roi et l'Église pour fonder une France républicaine", explique l'historienne Régine Le Jan.
Comment Clovis est-il devenu un mythe ? Cette mythification est-elle amorcée par le roi des Francs lui-même ? Et pourquoi chérissons-nous tant l’image que nous avons de ce personnage ?
"Clovis est un élément de permanence, de référence et même un élément de réassurance dans le passé, d'une légitimité qui s'incarne dans des formes diverses : la royauté d'Ancien Régime, la Révolution, le Directoire, le Consulat, l'Empire, la Restauration, d'autres encore. C’est cette continuité que les grands historiens Augustin Thierry, Guizot, Michelet ont voulu montrer", souligne Laurent Theis.
Nos invité·e·s
Régine Le Jan est historienne médiéviste, professeure émérite d’histoire médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a notamment publié :
- Famille et pouvoir dans le monde franc (VIIe – Xe siècle) : essai d'anthropologie sociale (Publications de la Sorbonne, 1995)
- La Royauté et les élites dans l'Europe carolingienne (début IXe siècle aux environs de 920) (sous sa direction, Centre de recherche sur l’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 1998)
- Histoire de la France : origines et premier essor (480-1180) (Hachette, 2000)
- Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen Âge (Éditions Picard, 2001)
- La Société au haut Moyen Âge (Armand Colin, 2003)
- Les Mérovingiens (Presses universitaires de France, coll. "Que sais-je ?", 2006)
Laurent Theis est historien médiéviste. Président honoraire de la Société de l'histoire du protestantisme français, il est membre du comité scientifique de la revue L'Histoire. Il a notamment publié :
- Dagobert, un roi pour un peuple (Fayard, 1982, réédition Biblis, 2017, couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
- L'Avènement d'Hugues Capet : 3 juillet 987 (Gallimard, 1984)
- Nouvelle histoire de la France médiévale, vol. 2 : L'héritage des Charles : de la mort de Charlemagne aux environs de l'an mil (Seuil, 1990)
- Histoire du Moyen Âge français : chronologie commentée de Clovis à Louis XI (Perrin, 1992, réédition 2012)
- Clovis, de l'histoire au mythe (Complexe, 1996, réédition Biblis, 2015)
- Robert le Pieux : le roi de l'an mil (Perrin, 1999, Prix de la biographie historique de l'Académie française)
- Chronologie commentée du Moyen Âge français (Perrin, 2010)
- Charles le Chauve. L'empire des Francs (Gallimard, 2021)
Sons diffusés dans l'émission
- Extrait du film L'Esclave gaulois de Jean-Pierre Decourt, 1972
- Lecture par Daniel Kenigsberg de deux extraits de l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours dans une traduction de Robert Latouche (Les Belles Lettres, 1963)
- Archive sur le baptême de Clovis évoqué dans l'émission La Tribune de l'histoire sur France Inter le 26 avril 1964
- Archive d'un reportage sur la visite du pape Jean-Paul II à Reims en septembre 1996 dans le Journal de 20h de France 2
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