Conscription, mobilisation, désertion, être pris dans la guerre : épisode 1/4 du podcast Vivre en temps de guerre, une histoire

Comment les hommes du XIXe siècle vivent-ils le fait militaire, en temps de guerre et en temps de paix ?
Comment les hommes du XIXe siècle vivent-ils le fait militaire, en temps de guerre et en temps de paix ? ©Getty - Matthew Dubourg/Historica Graphica Collection/Heritage Images
Comment les hommes du XIXe siècle vivent-ils le fait militaire, en temps de guerre et en temps de paix ? ©Getty - Matthew Dubourg/Historica Graphica Collection/Heritage Images
Comment les hommes du XIXe siècle vivent-ils le fait militaire, en temps de guerre et en temps de paix ? ©Getty - Matthew Dubourg/Historica Graphica Collection/Heritage Images
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En 1798, la loi Jourdan-Delbrel énonce : "Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie". Cette loi inaugure un long XIXe siècle où, loin de l’armée de métier de l’Ancien Régime, l’apprentissage du fait militaire devient l’un des piliers essentiels de la vie civique.

Avec
  • Odile Roynette Professeure d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne, spécialiste de l’histoire militaire des XIXe et XXe siècles
  • Annie Crépin Maîtresse de conférences honoraire en histoire contemporaine de l'université d'Artois, spécialiste d'histoire militaire

Soudain, une affiche est placardée sur les murs de nos villes et de nos villages : "Par décret du Président de la République, la mobilisation des armées de terre, de mer et de l’air est ordonnée, ainsi que la réquisition des animaux, voitures, moyens d’attelage, aéronefs, véhicules automobiles, navires, embarcations, engins de manutention et tous les moyens nécessaires pour suppléer à l’insuffisance des moyens ordinaires d’approvisionnement de ces armées. Le premier jour de la mobilisation générale est le dimanche 2 août 1914". À l’usine ou dans les champs, les hommes voient leur existence bouleversée quand la guerre éclate, même s'ils y sont préparés par l’esprit militaire et la conscription.

En finir avec l'armée d'Ancien Régime

À la fin du XVIIIe siècle, les Lumières interrogent le fait militaire. Ils ne souhaitent plus ni la conscription ni le service personnel obligatoire, mais appellent de leurs vœux une armée régénérée, reflet d’une société nouvelle, servie par des soldats qui seraient avant tout des citoyens. Si la conscription moderne a d'abord été nettement rejetée par la Constituante, au profit de l’engagement volontaire, l’entrée en guerre générale de 1792 change fondamentalement les choses. Le besoin d’hommes entraîne une mise en place progressive de la levée en masse de 300 000 hommes. La Révolution française, en abolissant la milice, abolit une forme antérieure de la conscription et fait de la levée en masse de l’an II un mythe fondateur : les civils, galvanisés par les idéaux de la Révolution, partent spontanément combattre pour la patrie.

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L'avènement du citoyen-soldat

En 1798, la loi Jourdan-Delbrel marque un tournant fondamental : l’inscription obligatoire de tous les jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans sur des registres. "La loi Jourdan-Delbrel garde ce lien irréfragable entre citoyenneté et devoir militaire. C'est sacralisé par les victoires de la Révolution. On estime qu'une armée ne peut être nationale et efficace que si, à côté du soldat de métier (...), il y a un certain nombre de conscrits. Ce qui est universel et obligatoire dans la loi Jourdan-Delbrel, c'est d'être inscrit sur des registres, mais ce n'est pas encore le service personnel obligatoire", remarque l'historienne Annie Crépin.

La conscription n’est pas synonyme d’appel : la formation militaire et la participation au combat dépendent d’un tirage au sort. "Il y a un système de sélection des hommes tirés au sort. Ils sont examinés par ce qu'on appelait les conseils de révision. Il fallait être apte au service et remplir un certain nombre de critères physiques, d'où la question de la définition de la masculinité par l'armée et par l'institution militaire. Ces critères sont plus ou moins rigoureux selon qu'on est en temps de paix ou en temps de guerre", précise l'historienne Odile Roynette. Avec la loi Jourdan-Delbrel apparaît aussi le remplacement, soit la possibilité pour les hommes les plus fortunés d’acheter leur service auprès d’un autre homme qui le fait à sa place. Cette conscription est donc marquée par la possibilité d’exemptions et par la corruption, et introduit un système profondément inégalitaire. L’instruction militaire ne fait pas forcément partie de la vie des Français et elle est souvent assez impopulaire.

Le Cours de l'histoire
52 min

Tout change avec la Troisième République. Jean Jaurès et Georges Clemenceau, notamment, théorisent et encouragent l’idéal d’une armée de citoyens soldats. Le service militaire n’est pas tout, il ne s’agit pas d’éloigner la caserne de la société civile, c’est au contraire la société civile qui doit entraîner à devenir un homme, un citoyen et un soldat, car c’est un tout. La caserne devient un haut lieu de la vie civique républicaine. Les classes populaires y côtoient les milieux bourgeois, les jeunes garçons y sont nourris et vaccinés, et les brimades, bizutages et autres humiliations sont considérées comme une pédagogie de la violence qui permet l’avènement du citoyen et de l’homme.

"L'armée du XIXe siècle, jusqu'à l'entre-deux-guerres au moins, est une armée qui maintient l'ordre dans tout le territoire (...), rappelle Odile Roynette. Il ne faut pas oublier que c'est cette armée de conscrits qui réprime en juin 1848, qui réprime l'immense insurrection contre le coup d'État du 2 décembre 1851, c'est elle qui est aux premières loges dans la répression de la Commune".

Comment les hommes du XIXe vivent-ils le fait militaire, en temps de guerre et en temps de paix ? Pourquoi l’éducation militaire et la conscription deviennent-elles des piliers de la vie civique ? Comment la vie de caserne s’est-elle instituée comme un rite de passage entre l’adolescence et l’âge d’homme ?

Pour en parler

Annie Crépin est maîtresse de conférences honoraire en histoire contemporaine de l'université d'Artois, conseil scientifique de la Recherche historique de la Défense, spécialiste d'histoire militaire.
Elle a notamment publié :

Odile Roynette est professeure d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne, chercheuse associée au Centre d'études sociologiques et politiques Raymond-Aron (CESPRA) de l'EHESS, spécialiste de l’histoire militaire des XIXe et XXe siècles.
Elle a notamment publié :

Références sonores

  • Archive sur les conscrits, Journal des Actualités françaises, 3 février 1955
  • Le Chant du départ par Armand Mestral, paroles de Marie-Joseph Chénier, musique d'Étienne Nicolas Méhul, 1794
  • Adaptation radiophonique du récit Histoire d'un conscrit de 1813 d'Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, paru en 1864, ORTF, 6 septembre 1970
  • Chanson de marche de soldat, Les Cahiers du capitaine Jean Roch Coignet, ORTF,  23 décembre 1969
  • Chanson Avec l'ami bidasse par Fernandel, 1958

Générique de l'émission : Origami de Rone