En France, l’histoire du rire est teintée d’un goût prononcé pour la contestation, voire d’idéaux démocratiques. L’ironie et la satire sont-elles des traits singuliers d’un humour "à la française" ? Daumier, Pierre Dac, Desproges, même combat ?
- Alain Vaillant professeur de littérature française à l’université Paris X Nanterre
- Laurent Bihl Historien des médias à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Existe-t-il un rire à la française ? Le 10 novembre 1894 paraît le premier numéro de l’hebdomadaire "Le Rire" : quel titre ! Le journal justifie son choix : "Le Rire a pensé que son titre était le meilleur des programmes et il remplacera les promesses habituelles – qu’il tiendra sans avoir besoin de les faire – par une proposition de nature à plaire à ses lecteurs". Le journal lance un appel à contributions avec les deux thèmes favoris des humoristes : "L’AD-MI-NI-TRA-TION : cette inépuisable source de gaîté et notre belle-mère à tous". Administration et belle-mère seraient-elles les deux mamelles d’un rire à la française ? (Xavier Mauduit)
Dans Les Étrangers sont nuls, Pierre Desproges écrivait : « Comment reconnaître l’humour anglais de l’humour français ? L’humour anglais souligne avec amertume et désespoir l’absurdité du monde. L’humour français se rit de ma belle-mère ». Pierre Desproges semble reconnaître l’existence d’un rire proprement français, mais ce rire ne peut se satisfaire d’une définition aussi réductrice. Le rire hexagonal a plusieurs facettes : il est contestataire, irrévérencieux, ou encore antireligieux. Comment l’expliquer historiquement ?
Il y a deux-cents ans, l’ironie policée, contenue et codifiée de l’aristocratie caractérisait le rire à la française. Avec la Révolution, le rire change de visage : il se démocratise. Le rire devient un bien commun et il irrigue l’espace public. Il doit cependant faire face à la censure, mais il en profite pour se réinventer et multiplier ses supports. Gazettes satiriques, caricatures et chansons populaires sont autant d’incarnations de « l’esprit gaulois ». Explorer tous ces documents nous permet de comprendre l’origine de cette vieille tradition française : se moquer du pouvoir et de la religion. Les évolutions que connaît le rire contestataire sont-elles liées aux évolutions de la liberté d’expression.
Nous dialoguerons en compagnie de Alain Vaillant, professeur de littérature française à l'Université Paris-Nanterre. Il est l'auteur de La Civilisation du rire (CNRS éditions, 2016) et a dirigé avec Matthieu Letourneux L'Empire du rire XIXe-XXIe siècle (CNRS éditions, 2021).
Et Laurent Bihl, maître de conférences en histoire et communication audiovisuelle à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a collaboré à l’ouvrage L’Empire du rire XIXe-XXIe siècle (CNRS éditions, 2021) ainsi qu’au livre De quoi se moque-t-on ? Satire et liberté d’expression sous la direction de Cédric Passard et de Denis Ramond (CNRS, 2021).
La Révolution française est l’événement majeur du processus d’égalisation des rires. Dès lors, en France, il existe une héroïsation singulière de l’agression comique, qui devient un instrument légitime à part entière du combat politique. (Alain Vaillant)
Il ne faut pas confondre le rire politique et le rire politisé. L’étude interdisciplinaire du rire permet de comprendre historiquement les foules, les individus et le rapport complexe avec le réel. Auparavant omniprésent, les historiens notent un affaissement de la part de gaieté et du rire en commun dans les mobilisations politiques d’aujourd’hui. (Laurent Bihl)
Le rire est constitutif de nos sociétés libérales, c’est ce qui nous fait tenir ensemble à l’instar de la religion pour la société féodale. Les enjeux économiques du rire sont ainsi devenus considérables : pour faire vendre, il faut être rassuré par le rire. (Alain Vaillant)
Le rire balaie l’ensemble de la complexité humaine (intelligence et bêtise cohabitent) : c’est un exutoire, une alternative à la violence. (Laurent Bihl)
Sons diffusés :
Extrait - Ridicule de Patrice Leconte (1996).
Extrait - Chanson anarchiste "Le Père Duchesne" (1892), interprété par Jacques Marchais.
Lecture - "Poisson d'avril tintamarresque" (1886), publié dans Almanach Vermot, lue par Tatiana Werner.
Lecture - Le Rire ; essai sur la signification du comique de Henri Bergson (1900), lue par Tatiana Werner.
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