Léonora Miano, "folle" d'histoire : épisode • 9 du podcast Fou d'histoire

L'écrivaine Léonora Miano le 16 november 2019 à Milan en Italie
L'écrivaine Léonora Miano le 16 november 2019 à Milan en Italie ©Getty - Leonardo Cendamo
L'écrivaine Léonora Miano le 16 november 2019 à Milan en Italie ©Getty - Leonardo Cendamo
L'écrivaine Léonora Miano le 16 november 2019 à Milan en Italie ©Getty - Leonardo Cendamo
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Née au Cameroun, Léonora Miano interroge l'histoire en mêlant les genres littéraires. De la traite transatlantique à l'utopie post-raciale, elle travaille sans relâche à comprendre et mettre au jour l'histoire mal ou méconnue du continent africain.

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Notre série « Fou d’histoire » donne la parole à ceux et à celles qui ne sont pas historiens, pas historiennes, mais qui aiment l’histoire, car elle éclaire notre présent, ceux et celle dont le passé structure l’œuvre : L’Intérieur de la nuit, Contours du jour qui vient, Rouge impératrice, L'Autre langue des femmes, Afropea et tant d’autres ouvrages de Léonora Miano. Fou et folle d’histoire, car il faut souvent tourner la tête en arrière pour regarder vers l’avant.

« L'histoire est chez moi une passion ancienne qui remonte à l'enfance. J'écoutais les leçons d'histoire comme autant de contes. »

À travers ses œuvres romanesques et réflexives, Léonora Miano n'a de cesse de questionner la trajectoire historique du continent africain. Née en 1973 à Douala, ville bouillonnante du Cameroun, l'écrivaine grandit entourée des livres de son père, pharmacien, et de sa mère, professeur d'anglais. Racine, Shakespeare, Rimbaud et d'autres ornent la bibliothèque familiale aux côtés des dictionnaires et encyclopédie que l'écrivaine en devenir dévore. Des classiques de la littérature européenne mais aucun auteur africain.

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Si elle récite les poèmes de Senghor ou lit les romans de Mongo Beti à l'école, l'élève sent que l'histoire est abordée de manière superficielle dans ses livres de classe. Les pièces manquantes du passé se font sentir. De quelles régions les déportés de la traite transatlantique était-ils arrachés ? Qui, en Europe, était impliqué ? « L'histoire nous permet de comprendre qui on est, développe Léonora Miano. Quand on a vu le jour dans l'Afrique subsaharienne nouvellement décolonisée, un environnement qui n'a pas été complètement créé par ceux qui l'habitent et dont les frontières ont été tracées par des étrangers, vous baignez dans l'histoire. Il faut vous la raconter pour la comprendre et pouvoir vous imaginer un futur. »

« Il faut que soit révélée la complexité des relations humaines. »

Arrivée en France en 1991, Léonora Miano étudie les lettres anglo-saxonnes à l'université de Valenciennes, puis Nanterre. Elle publie en 2005 son premier roman, L’Intérieur de la nuit (Plon, 2005) et poursuit une œuvre foisonnante. L'écrivaine interroge sans relâche l'effondrement du continent appelé Afrique à partir du moment où l'Occident lui est tombé dessus. Elle scrute la complexité de l'histoire et de ses acteurs tout en exposant les mécanismes de violence et de conquête. Léonora Miano raconte notamment l'arrivée des Français au Cameroun, en 1918, alors déjà colonisé par l'Allemagne, qui s'est fait dans une violence particulière : « Les Français arrivent dans un endroit où les gens parlent allemand. Il faut interdire l'usage de la langue allemande et à ceux qui possèdent des livres en allemand de les conserver. Je me souviens d'histoires de familles où les gens avaient un attachement à la philosophie et la poésie allemande. Ils ne voulaient pas brûler les livres, ni les jeter. Je me souviens de gens ayant vu un aîné enterrer les livres en pleurant. »

La réflexion de Léonora Miano n'en reste pas là. Elle montre la nécessité d'investiguer l'histoire ancestrale d'un continuent pluriel tout en élaborant le concept d'une nouvelle identité afropéenne qui réconcilie des termes jusqu'alors contraires comme la filiation africaine et la culture européenne. Comment Léonora Miano utilise-t-elle la matière littéraire pour donner chair à l'histoire ? Dans quelle mesure n'est-elle pas, à son tour, une passeuse d'histoire ? L'écrivaine nous raconte son parcours et son vécu qui l'ont conduite à se passionner pour l'histoire : « Il faut tordre le cou à l'idée qu'il existe des gens qui n'ont rien apporté à l'histoire humaine, qu'il existe des cultures du monde dont on va pouvoir se passer ou même des expériences qui n'ont pas besoin d'être relatées. »

Léonora Miano est romancière et essayiste. Elle a fait paraître en septembre 2021 deux ouvrages chez Grasset L'autre langue des femmes et Elles disent. Elle a écrit l'épilogue de l'ouvrage collectif Les Mondes de l'esclavage. Une histoire comparée (Seuil, 2021), dirigé par Paulin Ismard.

Références sonores

  • Archive du centenaire du traité Douala-Allemagne deatant de 1973 et diffusée dans Panorama de l’histoire africaine - Radio France Internationale, 1er juillet 1984
  • Extrait du court métrage Le Premier jour de Luc de Saint-Sernin, 2004
  • Musique Psycho Killer par Talking Heads, 1977
  • Archive de James Baldwin sur la situation des noirs américains dans Post Scriptum - RTF, 21 octobre 1970

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