Inflation à Rome, l’empereur fait son Maximum

Quinaire de Dioclétien, monnaie romaine du IIIe siècle de notre ère.
Quinaire de Dioclétien, monnaie romaine du IIIe siècle de notre ère. - Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Quinaire de Dioclétien, monnaie romaine du IIIe siècle de notre ère. - Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
Quinaire de Dioclétien, monnaie romaine du IIIe siècle de notre ère. - Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
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Parler d’inflation en Rome antique a-t-il un sens ? Ce qui est sûr, c’est que les prix augmentent au IIIe siècle après J.-C. et que les citoyens et le pouvoir ne manquent pas de s'en apercevoir. Dioclétien promulgue alors l'édit du Maximum, qui impose un prix-plafond à plus d'un millier de produits.

Avec
  • Antony Hostein Historien et numismate, directeur d’études à l'École Pratique des Hautes Études
  • Julien Olivier Chargé de collection au département des Monnaies de la Bibliothèque nationale de France

Sesterces, deniers, aureus… Les empereurs romains ne faisaient pas marcher la planche à billets, car le papier-monnaie n’existait pas encore. Toutefois, ils pouvaient jouer avec l’argent, jouer sur la masse monétaire et la teneur en métal des différentes pièces. Inflation, économie, politique monétaire, est-ce que tous ces termes ont un sens pour un Romain ou pour une Romaine de l’Antiquité ? Il est certain que sur le forum les discussions portaient sur la valeur des choses - et parfois sur la flambée des prix. Argent trop cher, trop grand, même en toge.

L'inflation, un concept anachronique dans l'Antiquité ?

L’économie romaine est une économie prémoderne et l’inflation un concept inconnu pour les Romains, même s’ils remarquent bien sûr les hausses de prix. "La notion même d'inflation est étrangère (dans l'Empire romain), parce qu'il faut avoir en amont une pensée économique globale. L'Empire romain, par rapport aux systèmes monétaires de l'époque moderne et de l'époque contemporaine, a une sorte d'exclusive. Il n'a pas d'adversaire, il n'y a pas une banque centrale concurrente.", explique l'historien Antony Hostein.

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Les hausses de prix se font généralement sur la longue durée ; le modèle économique romain reste dans l’ensemble stable, malgré quelques moments d’accélération, qui demeurent cependant rares et éphémères.

Nous cherchons néanmoins aujourd’hui à comprendre les mécanismes qui peuvent mener à un emballement de l’inflation. Sont-ils strictement économiques, sont-ils politiques ou encore sociaux ? "Dans la période de prospérité (de l'Empire romain), des années 100 de l'empereur Trajan jusqu'aux empereurs de la dynastie des Sévères dans les années 220, il y a un doublement des prix. C'est une inflation très longue, de cent-vingt ans. Cette inflation ne pose pas problème puisqu'elle est liée à la création de richesses à l'intérieur de l'Empire et à une masse monétaire qui est là, qui se développe, qui s'étoffe, mais qui parfois trouve des problèmes d'ajustement.", poursuit Antony Hostein.

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Une crise des finances publiques

Pour comprendre à quoi est due l'inflation à Rome à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle de notre ère, il faut remonter à la crise du IIIe siècle qui ébranle profondément l’Empire. "À partir du IIIe siècle, la situation géopolitique change. Les empereurs subissent les guerres sur différents fronts. Cela bouleverse l'organisation qu'avait mise en place Auguste pour la défense et la fiscalité. Les attaques des peuples extérieurs ruinent aussi certaines provinces, ce qui prive en ressources fiscales les zones détruites et pillées. Il y a un effondrement du système global. À l'intérieur de ce système militaire, fiscal et monétaire, la monnaie est entraînée dans ces difficultés", décrit Antony Hostein.

Nous revenons avec nos invités sur le fonctionnement du système monétaire romain et cherchons à comprendre en quoi l’émission de monnaie peut bouleverser les équilibres économiques, surtout quand on se hasarde à réduire la part de métal précieux dans les pièces de monnaie pour pouvoir en produire davantage… Quand la masse monétaire est multipliée, les choses se gâtent rapidement. Surtout que les stocks de métal précieux diminuent à vue d’œil !

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Devant la hausse des prix, l’empereur Dioclétien, à la tête de l’Empire romain depuis 284, peut mobiliser différents outils régaliens : augmenter les salaires, frapper monnaie, plafonner les prix, augmenter la fiscalité... En 294, il propose ainsi une réforme monétaire. En 301, il promulgue également l’édit du Maximum, qui impose un prix-plafond pour plus d’un millier de produits. Le pouvoir politique peut-il ou doit-il vraiment tenter de dominer l’économie ? Les conséquences des mesures prises par Dioclétien mettent en évidence une crise de confiance qui aggrave encore l’inflation : si l’État est menteur, comment se fier à une monnaie dévaluée ? Comment ne pas thésauriser ?

Pour en parler

Antony Hostein est historien, numismate et directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE). 
Il a notamment publié :

Julien Olivier est chargé de collection des monnaies grecques et provinciales romaines au département des Monnaies de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et spécialiste de la numismatique grecque et de l’Égypte ptolémaïque.
Il a notamment publié :

  • Crise, déclin et repli : un monnayage à l'image du royaume ? Les émissions d'or et d'argent ptolémaïques entre la fin du règne de Ptolémée V et la mort de Ptolémée IX (vers 193-81 av. J.-C.) (Leuven, 2020)
  • Deux politiques de l’or. Séleucides et Lagides au IIIe siècle avant J.-C. (co-écrit avec Frédérique Duyrat, Revue Numismatique, 2010)
  • Reconsidérer la politique militaire des Lagides à la lumière des données numismatiques. Frappes et trésors monétaires aux IIIe et IIe s. av. J.-C. (env. 294-116) (co-écrit avec Bérengère Redon, Thomas Faucher, 2020)

Références sonores

  • Archive de l'émission Une mémoire bien rangée. Les vrais monnayeurs, TF1, 10 octobre 1979
  • Extrait du film Deux Heures moins le quart avant Jésus-Christ de Jean Yanne, 1982
  • Extrait du film Constantin le Grand de Lionello De Felice, 1961
  • Lecture par Olivier Martinaud d'un extrait de l’Édit de Maximum, traduit par André Chastagnol (Le Bas-Empire, Colin U, 1991 ; seconde édition)
  • Lecture de L'Évangile selon saint Matthieu dans l'émission L'art est la matière, France Culture, 6 février 2022
  • Générique de l'émission : Origami de Rone