Changeant de noms, de styles, de médiums, de lieux de résidence, comment saisir l’insaisissable James Tissot ? Qui est ce peintre ? En quoi cette insaisissabilité est-elle caractéristique de son époque ?
- Marine Kisiel Conservatrice au musée d'Orsay
Venez, installez vous, une femme nous attend. Elle est assise, elle nous regarde, elle est représentée sur un tableau… Qui est-elle ? Le peintre, James Tissot, a intitulé ce portrait Mademoiselle L.L… étrange initiales, identité mystérieuse. Elle porte une imposante jupe de satin noir et une veste d’un rouge vif, intense… une sorte de boléro, un peu comme la bedaïa algérienne, vous savez la veste que portent les zouaves… Mais cette femme-là ne ne fait pas le zouave ! Sans être grave, elle est posée, des livres à ses côtés… qui est-elle ? Pour ma part, sans conteste, il s’agit de Madame Bovary, tout simplement parce que ce tableau a été utilisé, pendant des années, pour illustrer l’édition de poche du roman de Flaubert… et nous sommes des centaines de milliers, sans doute, qui attribuons ce visage peint par Tissot à Madame Bovary… Aujourd’hui encore, l’identité de cette femme est inconnue… Quand au peintre, James Tissot, s’en souvient-on ? Il a su magnifier les costumes et les robes, des tenues sensationnelles, mais Tissot n’est pas seulement le peintre des tissus… il est de ces artistes qui, à la fin du 19esiècle, ont connu la renommée et la fortune et puis qui ont été quelque peu oublié… Allez, installons-nous, un artiste nous attend : c’est lui qui a peint le tableau !
Nous recevons ce matin Marine Kisiel, docteure en histoire de l’art et conservatrice des peintures au musée d’Orsay, elle signe le commissariat de l’exposition "James Tissot - L'ambigu moderne", qui aurait du se tenir au Musée d’Orsay du 24 mars au 19 juillet 2020 (co-commissaires : Paul Perrin, Cyrille Sciamma).
Tissot est un jeune homme qui est né à Nantes, qui a regardé les bateaux, les oiseaux, les gréements à une période où Nantes est encore un grand port. L’accès à la mer, l'eau, arrivent jusqu'aux portes de l’enfant, qui rêve de lointain. Et dans le même temps, ce petit garçon que l'on envoie étudier dans les Flandres, que l'on fait revenir à Nantes pour poursuivre ses études, a des attaches franc-comtoises. Sa famille est originaire de Franche-Comté, non loin de Besançon, et bientôt, son père se réinstalle en Franche-Comté après que la fortune familiale a été établie. Ses parents sont marchands de mode et de draps. Il naît donc au milieu des tissus, des rubans, et en garde une forte empreinte. Arrivant à Paris à la toute fin des années 1850, il s'installe, se présente à un compatriote nantais qui s'appelle Jules-Elie Delaunay et qui a commencé à faire carrière et lui donne quelques importants conseils. Tissot fréquente l'école des Beaux-Arts et de jeunes rapins qui, comme lui, s'intéressent à la peinture. On peut citer Degas, Moreau... Et le voilà qui commence à peindre, à rêver de la période médiévale avec d'autant plus de facilité que lorsque son père s'est réinstallé en Franche-Comté, il a acheté le grand domaine de Buillon, qui comporte, certes, des quartiers très habitables et très sympathiques, mais aussi les ruines d'une ancienne abbaye médiévale cistercienne. Il y a de quoi rêver. Marine Kisiel
Si l'on a pu penser que Tissot s'était fait appeler James en arrivant à Paris pour célébrer son attachement à l'Angleterre, à la peinture anglaise, en réalité, lorsque nous avons préparé l'exposition, nous avons creusé les archives et découvert avec surprise – avec une certaine délectation aussi, parce qu’il est toujours intéressant de rompre les mythes –, nous avons donc découvert que, lorsque ses parents l’envoient, à l'âge de 11 ans, au collège jésuite de Brugelettes, dans les Flandres, il est inscrit sous le nom de James. C'est peut-être la décision de celui qui est né Jacques Joseph Tissot, c'est peut-être celle de ses parents. En tout cas, Tissot n'attend pas de se faire peintre pour se faire appeler James. Marine Kisiel
On est sans doute touché par la peinture de Tissot parce qu'il a ce goût des tissus, des chatoiements, mais aussi parce qu'il réussit toujours à saisir « quelque chose ». Je reste relativement floue à dessein, puisque sa peinture, tout au long de sa carrière, dit autant qu'elle retient. Et c'est peut-être pour cela, précisément, qu'elle nous retient. On a le sentiment d'y voir des choses, d'y voir des narrations, d'y voir des personnages, des portraits. Mais en fait, on ne sait jamais exactement trop ce que l'on regarde, de qui et de quoi il est question. Marine Kisiel
Sons diffusés :
Lectures :
- Léon Lagrange sur Tissot, notes sur le salon de 1864, dans la Gazette Beaux Arts, 1864
- Elie Roy, notes sur le Salon de 1869 dans le journal L’Artiste
- Joris Karl Huysmans, dans Ecrits sur l’art moderne. Certains, 1889
Extrait de documentaire : James Tissot - L'étoffe d'un peintre, de Pascale Bouhénic, Arte - Musée d'Orsay et de l'Orangerie
Musique : Kathleen Mavourneen, de John McCormack
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration
- Réalisation
- Réalisation
- Collaboration
- Chronique