Jean de La Fontaine n'échappe pas à la vague de libertinage qui se développe en France au XVIIe siècle. Libre-pensée et esprit de débauche imprègnent les contes du poète mondain au cœur d'un phénomène de société.
- Didier Foucault Professeur des Universités en histoire moderne à l’Université Toulouse - Jean Jaurès
- Mathieu Bermann Docteur en littérature et langue françaises, maître de conférences en stylistique à l’université Paris 8
Auteur de fables et de contes, Jean de La Fontaine, libertin, est un homme affable ! « Fendre la lune, baisers d'épine et de plume / Bercée par un petit vent, je déambule », au mitan des années 1980, la chanteuse Milène Farmer se présente libertine et elle remet à l’honneur le libertinage : « La vie est triste comme un verre de grenadine / Aimer c'est pleurer quand on s'incline ». La Fontaine, lui aussi, est un tantinet coquin quand il cède, sans qu’on le force, à la vague de licencieuse qui émoustille le Grand Siècle, mais d’ailleurs qu’est-ce que le libertinage ?
Le libertinage est le plus souvent associé au XVIIIe siècle et à des auteurs comme Crébillon, le marquis de Sade ou encore Choderlos de Laclos, à tel point que la Régence est devenue synonyme de mœurs légères et fêtes dépravées. Pourtant, c’est au XVIIe siècle que le libertinage a pris une ampleur inédite, jusqu’à devenir un véritable phénomène de société. Au sortir des guerres de religion et sous l’égide de Louis XIV, monarque jeune et galant, les salons mondains voient fleurir des conversations et des œuvres d’un genre nouveau, qui font la part belle à la libre-pensée et à l’éloge épicurien du plaisir. L'historien Didier Foucault, spécialiste de l'histoire du libertinage, caractérise la seconde moitié du XVIIe siècle comme le temps de la Contre-Réforme, avec une importante offensive des dévots : « Les dévots s'attaquent à deux formes de déviance. D'une part idéologique, c'est-à-dire un éloignement de la religion – les libertins sont des mécréants. D'autre part, une déviance des mœurs – les libertins sont des débauchés. » C’est dans ce contexte de ce qu'on appelle la préciosité que Jean de La Fontaine fait paraître ses premiers recueils de contes versifiés.
« Par l'écriture, La Fontaine se donne le défi d’écrire sur des amours déshonnêtes de manière honnête pour ne jamais choquer ouvertement le lecteur ou la lectrice. » Matthieu Bermann
Les contes libertins de Jean de La Fontaine font la joie des mondains tandis que les courtisans et les écrivains proches du pouvoir royal méprisent ces écrits mineurs. Les contes de La Fontaine sont licencieux à deux égards : dans la forme, puisqu’ils relèvent d’un genre mineur et peu codifié ; dans le fond, dans la mesure où ils mettent en scène des femmes adultères, des abbesses, prêtres ou hommes mariés prêts à recourir à de nombreux subterfuges et déguisements pour parvenir à leurs fins. « La Fontaine enveloppe tout cela par son écriture et le rend poétique, léger, licencieux mais pas obscène. » développe Matthieu Bermann, agrégé de lettres modernes et maître de conférences en stylistique à l’université Paris 8.
Le contes de La Fontaine composent l’éloge d’une vie simple, tournée vers le plaisir et la légèreté, dans l’esprit du libertinage du Grand Siècle. Selon Didier Foucault, ce libertinage a différents versants. Littéraire, tout d'abord, avec une littérature poétique mais aussi philosophique. C'est ce qu'on appelle le libertinage érudit. Ensuite, il mentionne les personnes libertines dans leurs pratiques : « On peut évoquer les milieux populaires auxquels se mêlent des joyeuses tablées de poètes qui font bonne chère, boivent d'abondance et font des repas pendant le carême, au grand scandale des dévots. » Didier Foucault relève enfin un libertinage aristocratique qui prend la forme d'une révolte contre toute soumission politique.
Dans quelle mesure Jean La Fontaine s’est-il inscrit dans ce courant de pensée ? Comment expliquer que l’auteur ait, à deux reprises, totalement renié cette partie de son œuvre ? Pourquoi ces contes licencieux, très connus au XVIIe siècle, ont-ils presque complètement disparu des mémoires aujourd’hui ? Nos invités, Matthieu Bermann et Didier Foucault, nous emmènent à la découverte de La Fontaine, libertin.
Mathieu Bermann est agrégé de lettres modernes et maître de conférences en stylistique à l’université Paris 8. Romancier, il est spécialiste des contes licencieux de Jean de La Fontaine. Il signe notamment Les Contes et nouvelles en vers de La Fontaine. Licence et mondanité (Classiques Garnier, 2016).
Didier Foucault est professeur des Universités en histoire moderne à l’Université Toulouse - Jean Jaurès et spécialiste de l’histoire du libertinage. Il est l'auteur de Médecine et médecins à Toulouse au siècle des Lumières (Presses universitaires du Midi, 2020), 1619 Vanini, un libertin sur le bûcher (Éditions Midi-Pyrénéennes, 2018) et Histoire du libertinage, des goliards au marquis de Sade (Perrin, 2007).
Découvrir le spectacle Croustilleux La Fontaine de Jean-François Novelli d’après Jean de La Fontaine, dans une mise en scène de Juliette, du 6 au 30 octobre 2021 au théâtre Les Déchargeurs à Paris.
Références sonores
- Archive d'une adaptation du conte Le Baiser rendu de Jean de La Fontaine - RTF, 1971
- Lecture du conte Les Oyes de frère Philippe de Jean de La Fontaine par Vanda Benes
- Extrait de l'adaptation de la pièce de Molière Dom Juan et le festin de Pierre par Michel Bluwal avec Michel Piccoli, 1965
- Extrait du film Que la fête commence de Bertrand Tavernier, 1975
- Chanson Il était une bergère par Colette Renard
- Lecture de la lettre du révérend Père Pouget, confesseur de La Fontaine, à l’abbé d’Olivet sur la conversion de La Fontaine, 22 janvier 1717, lue par Vanda Benes
- Discours de Jean de La Fontaine à Madame de la Sablière lors d'une réception à l'Académie Française, lu par Bernard de Lettre
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