La nature confisquée, histoire du "colonialisme vert" : épisode 1/4 du podcast Et l’homme créa la nature

Touristes  photographiant un lion. Sabi Sand Game Reserve, en bordure du Parc National Kruger, Afrique du Sud.
Touristes  photographiant un lion. Sabi Sand Game Reserve, en bordure du Parc National Kruger, Afrique du Sud.  ©Getty -  Martin Harvey
Touristes photographiant un lion. Sabi Sand Game Reserve, en bordure du Parc National Kruger, Afrique du Sud. ©Getty - Martin Harvey
Touristes photographiant un lion. Sabi Sand Game Reserve, en bordure du Parc National Kruger, Afrique du Sud. ©Getty - Martin Harvey
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Sous l'impulsion d'organismes internationaux, poursuivant le mythe d'un Éden vierge de toute présence humaine, les populations africaines sont expulsées d'espaces qu'elles fréquentaient jusqu'alors. Une vision héritée de la période coloniale aux lourdes conséquences sociales.

Avec
  • Guillaume Blanc Historien, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Afrique et du patrimoine environnemental

Ne serions-nous pas tous à la recherche de l’Éden, le paradis terrestre ? Les explorateurs qui ont sillonné les mers, les aventuriers qui ont parcouru les terres pendant des siècles, ont espéré croiser ce lieu de délice, cet endroit idyllique fait d’innocence et de simplicité primitive. Baignés de culture chrétienne, ils étaient à la recherche de l’Éden. Les récits laissés par les voyageurs évoquent cette quête d’un paradis qu’ils trouvent parfois en Asie, parfois en Amérique, et souvent en Afrique.

Pourtant, certains ont mis en garde contre une vision fantasmée de ces territoires lointains. C’est le cas du général Ducrot par exemple, un de ces braves militaires, ces bravaches du XIXe siècle qui ont fait leurs armes en Afrique, qu’ils ont transformée en camp de manœuvres. En 1871, il publie La Vérité sur l'Algérie, où il évoque le Sahara : "D'exagération en exagération, le pays de la soif, est devenu, sur la foi de touristes enthousiastes, de certains poètes sahariens, l'Éden de l'Afrique où, en longues caravanes, arrivaient les produits féeriques du splendide Soudan". L’objectif du général Ducrot n’est pas de déconstruire le discours colonialiste qui fait de l’Afrique un paradis, vide de ses habitants. Cela est le travail de l’historien qui s’intéresse à l’invention du colonialisme vert.

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L'invention du colonialisme vert

Il arrive que l’on tue des hommes pour protéger des animaux et des paysages. Impensable dans la plupart des pays occidentaux, cette phrase prend tout son sens si on la situe dans le contexte africain : c’est ce que l'historien Guillaume Blanc désigne par le terme "colonialisme vert".

Ce colonialisme vert serait la persistance d’une vision occidentale de l’Afrique comme d’un continent vide d’hommes, préservé de la civilisation, où la nature et les animaux règnent en maîtres. Que cette Afrique n’ait jamais existé n’empêche pas que certains souhaitent créer de toute pièce cette Afrique vide d’hommes en procédant à sa "naturalisation", c’est-à-dire en expulsant les populations locales des parcs nationaux et des réserves protégées.

"Le colonialisme vert, c'est l'entreprise qui consiste à naturaliser l'Afrique par la force, c'est-à-dire que plutôt que de résoudre la crise écologique comme elles le font en Europe, des institutions comme l'Unesco, le WWF, l'UICN, s'efforcent de naturaliser l'Afrique, c'est-à-dire de déshumaniser la nature". - Guillaume Blanc

Les conséquences environnementales de la colonisation

Aux racines de ce qui apparaît comme une injustice sociale et une absurdité écologique, il y a l’histoire : celle des premiers explorateurs, à la recherche d’un Éden qu’ils ne trouveront jamais ; celle de la colonisation, qui surexploite les ressources du continent ; celle de la protection de l’environnement, portée par d’anciens chasseurs et administrateurs coloniaux repentis.

"La colonisation a amené à une exploitation sans précédent des sols, de la faune, de la forêt. Entre 1850 et 1920, en Afrique et en Asie, c'est environ 95 millions d'hectares de forêt qui sont rasés pour la mise en culture des terres. C'est quatre à cinq fois plus qu'au siècle précédent. La colonisation accélère aussi la chasse, la prédation : on a environ 65 000 éléphants qui sont abattus fin XIXe siècle pour le commerce de l'ivoire et on a aussi les collecteurs de faune, des naturalistes qui sont des prédateurs. Un naturaliste allemand peut envoyer jusqu'à 300 zèbres par mois au Museum d'histoire naturelle de Berlin en 1895. Là encore les colons ne réalisent pas que c'est leur présence qui cause des dégâts écologiques sans précédent, ils blâment les populations colonisées et créent des réserves de chasse dans lesquelles ils privent les Africains du droit à la terre. Ces réserves sont reconverties dans des parcs nationaux dans les années 1930 avec toujours cette même idée que les Africains sont responsables de la dégradation de la nature africaine". - Guillaume Blanc

Pour en parler

Guillaume Blanc est historien, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Afrique et du patrimoine environnemental, maître de conférences à l’Université Rennes 2. Il dirige un programme de recherche sur l’histoire des aires protégées d’Afrique et d’Asie. Guillaume Blanc assure la direction de la collection "Histoire environnementale" aux Éditions de la Sorbonne.

Bibliographie sélective

Références sonores

  • Archive Connaissance des bêtes. Les braconniers d'Afrique, 2 avril 1971
  • Archive de Philippe Poiret, président du WWF France, interrogé dans l'émission Objectif Tintin sur France 3 le 22 août 1990
  • Extrait du film Out of Africa (1985) de Sydney Pollack, d'après le roman autobiographique La Ferme africaine de Karen Blixen publié en 1937.
  • Chanson Kilimandjaro par Pascal Danel

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