

Le livre de format réduit naît au XVIIe siècle. Sa taille permet de le faire voyager dans les bagages des colporteurs. Dès lors, grâce à son faible coût, il connaît un immense succès auprès d'un nouveau public, plus populaire et éloigné des centres urbains.
- Jean-Yves Mollier Historien à l’Université de St Quentin en Yvelines et spécialiste de l'histoire de l'édition
- Marie-Dominique Leclerc Historienne du livre, Maître de conférences à l’Université de Reims.
Presque toutes les couleurs de l’arc en ciel s’exposent devant nous, quand nous nous nous trouvons face aux rayons d’une librairie : le rose, le vert, le jaune, le rouge, le bleu… Autant de bibliothèques, qui proposent des titres fabuleux : Le Club des cinq et le Vieux Puits, Le Club des cinq en vacances et toute la série des Oui-Oui dans la Bibliothèque rose, pour les plus jeunes. En grandissant, voici des textes classiques ou les aventures d’Indiana Jones dans la Bibliothèque verte. Il y a la Bibliothèque jaune également, pour la maison d’éditions J. Dupuis, dans la première moitié du XXe siècle, avec des romans policiers. La Bibliothèque rouge aussi, proposée par les éditions Les Moutons électriques, pour nous électriser. Sans oublier la bibliothèque bleue, évidemment : elle nous conduit plusieurs siècles en arrière, au plus près des colporteurs.
Rose, vert, jaune, rouge, bleu, ou encore roman noir, les livres portent les couleurs de notre vie ! (Xavier Mauduit)
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Dès le XVIIe siècle, les colporteurs diffusent les livres jusque dans les campagnes les plus reculées du royaume de France. Ces livres populaires, au format réduit et au prix modique, abordent tous les sujets, des cantiques aux recettes de cuisine, de la fabrication de philtres d’amour aux romans de chevalerie, permettant une première démocratisation de la lecture. La presse quotidienne du XIXe siècle, en faisant du roman-feuilleton un genre littéraire à part entière, va poursuivre ce mouvement, qui n’échappe pas aux éditeurs. Jean-François Arthème Fayard et Louis Hachette ne manquent pas d’y voir une manne financière et imposent le format de poche au lectorat du XIXe siècle.
Malgré ce long héritage, le lancement par Henri Filipacchi du “Livre de poche” en 1953 est perçu comme une véritable révolution. La collection connaît un succès populaire sans précédent, mais se heurte également à de nombreuses critiques, qui s’émeuvent de la disparition d’une aristocratie de lecteurs et s’inquiètent de la moralité de ces ouvrages bon marché et accessibles au plus grand nombre. Mais la diffusion massive des textes rend-elle vraiment la lecture accessible à tous ? Comment apprécier l’impact de ces nouveaux formats sur l’économie du livre ? L’histoire du livre de poche doit-elle être comprise comme celle d’une révolution culturelle et sociale majeure ?
Avec nous aujourd’hui pour répondre à ces questions, deux historiens spécialistes du livre : Marie-Dominique Leclerc, qui a publié avec Alain Robert Des éditions au succès populaire, les livrets de la Bibliothèque bleue XVIIe – XIXe siècles. Présentation, anthologie, catalogue (CDDP, 1986), ainsi que de très nombreux articles sur l’histoire de la bibliothèque bleue et Jean-Yves Mollier, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et auteur de nombreux ouvrages dont Édition, presse et pouvoir en France au XXe siècle (Fayard, 2008), Hachette, le géant aux ailes brisées (Éditions de l’Atelier, 2015) et Une autre histoire de l’édition française ( La Fabrique, 2015). Son dernier ouvrage, Interdiction de publier - La censure d'hier à aujourd'hui vient de paraître aux éditions Double ponctuation.
Au début du XVIIe siècle, les imprimeurs de Troyes doivent trouver de nouveaux marchés pour faire face à la crise
On peut dire que la Bibliothèque bleue est née à Troyes mais il y avait déjà des précédents, c'était dans l'air. On avait des précédents à Lyon, à Paris, à Rouen, villes qui avaient déjà essayé de faire du livre un produit bon marché mais à Troyes on a un peu systématisé le processus. C'était était une ville de tradition d'imprimeur, on estime que le premier livre imprimé à Troyes l'a été par Jean Le Rouge en 1483, c'était un bréviaire. C'est une ville importante au XVIe siècle on avait 11 imprimeurs pour 32 000 habitants. Le site était prédisposé à l'imprimerie puisqu'on avait des moulins sur la Seine qui permettaient la fabrication de papier et un transport facile des marchandises vers Paris. Au début du XVIIe siècle c'est la crise : en 1695, Troyes ne compte plus que 18000 habitants. C'est la fin des guerres de religion, il n'y a plus de pamphlets à imprimer en faveur de la Ligue donc moins de travail pour les imprimeurs d'où la nécessité de trouver de nouveaux débouchés et l'idée de proposer des livres à bon marché. (Marie-Dominique Leclerc)
Le cabinet de lecture : une étape entre la littérature de colportage et le livre de poche
La littérature diffusée dans la bibliothèque bleue recycle des productions du passé, de manière à les rentabiliser on fait feu de tout bois pour un public faiblement alphabétisé mais qui va l'être de plus en plus et qui se contente de peu. Au pôle opposé on a de tout autres lecteurs qui vont demander de beaux livres, des livres reliés, on est encore à une époque où l'éditeur fait imprimer le volume en feuille et c'est l'acheteur qui va mettre la reliure. Mais il y a quand même des étapes, avant d'arriver à l'époque de la culture de masse vers 1860 -1880, Il y a eu l'étape du cabinet de lecture qui est l'étape entre la littérature de colportage et le livre de poche. Le cabinet de lecture ressemble à la bibliothèque de prêt d'aujourd'hui sauf que c'est un commerce privé qui permet de de lire sur place les livres et les journaux contre un droit modique, on peut aussi les emprunter, les emporter chez soi. Le système, qui est apparu à la fin du XVIIIe siècle, s'est considérablement développé dans la première moitié du XIXe siècle et a permis de gagner de nouveaux lecteurs car on est encore à une période où le livre coûte très cher. La révolution que va entraîner l'ancêtre du livre de poche, La bibliothèque Charpentier qui apparaît en 1838, Ça va être précisément de résoudre la question du prix du livre qui était l'obstacle sur lequel tout le monde butait auparavant. Cette fois-ci, il ne sera plus question recycler des productions que le public délaisse depuis un moment mais il s'agira bien de donner la littérature du jour, Balzac, George Sand, aux lecteurs qui attendent de les lire dans des conditions convenables. (Jean-Yves Mollier)
Sons diffusés :
- Archive - 25/08/1971 - Extrait de l'émission L'invité de France Culture - Claude Mettra parle des colporteurs.
- Lecture par Daniel Koenigsberg d'un extrait de L’imperfection des femmes, paru vers 1780 dans la Bibliothèque bleue, texte repris à partir de d'un ouvrage de Jacques Olivier, Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, Paris, Jean-Petit Pas, 1617.
- Archive - 1964 - ORTF - Extrait de l'émission L’avenir est à vous.
- Archive - 02/12/1964 - ORTF - Extrait de l'émission Pour le plaisir - Marcel Pagnol parle du livre de poche.
- Musique : Jacques Dutronc - J'ai tout lu, tout vu, tout bu (1967).
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