

Au XIXe siècle, avec le triomphe de la bourgeoisie naît une nouvelle conception de l'amour. Elle prône un idéal où le corps et l’esprit fusionnent dans un tourbillon d'émotions exaltées et sublimées. À son paroxysme, elle est une mystique amoureuse, mais toujours chaperonnée par la vertu.
- Camille Islert Doctorante en lettres modernes à l’université Paris III Sorbonne-Nouvelle
- Alain Vaillant professeur de littérature française à l’université Paris X Nanterre
Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
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Quand il écrit son poème « L’Isolement », en 1820, Alphonse de Lamartine n’est pas sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, pour cueillir des champignons : il pleure l’être aimé.
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ;
Au passage, nous remarquons la sublime allitération en « s » : serpente, et s'enfonce en un lointain obscur… Le poète poursuit :
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
Loin de la figure d’un amoureux transis et torturé, quelle est la portée de la poésie romantique qui a marqué le XIXe siècle ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
Le romantisme ne nous manque pas, pour simple raison qu’il n’a pas disparu car, suivant Victor Hugo : « On n'a jamais plus parlé du romantisme que depuis qu'on dit : le romantisme est mort ». (Xavier Mauduit)
Le XIXe siècle marque l’avènement d’une nouvelle culture de l’amour, quand le discours moral et les récits grivois, voire franchement pornographiques, qui prédominaient au XVIIIe siècle, laissent place au romantisme. L’essor de la culture bourgeoise impose de nouveaux comportements dans la vie privée. L’individu est désormais au centre de toute chose, dans sa vie publique comme dans son intimité. Les romantiques aspirent à un amour qui transcende la vie, en opérant la fusion du corps et de l’âme.
L’amour devient ainsi une véritable mystique, un idéal de plénitude et de communion entre soi et l’être aimé. Cet espoir individuel d’un amour parfait ne promeut pas pour autant la liberté de choix. Le romantisme et la culture bourgeoise mettent en place de nouvelles conventions, de nouveaux standards pour lesquels l’amour n’est pas un idéal à la portée de tous. Qu’en est-il alors des déçus du romantisme ? Comment les amours homosexuelles sont-elles considérées par ces nouveaux discours ? Que deviennent celles et ceux qui ne correspondent pas aux conventions romantiques ? Dans tous les cas, l’amour romantique prend des aspects révolutionnaires quand il aspire au sublime.
Avec nous aujourd’hui pour répondre à ces questions, deux spécialistes de l’amour littéraire au XIXe siècle : Alain Vaillant, professeur de littérature française à l’Université Paris Nanterre et auteur de nombreux ouvrages dont L’Amour-fiction. Discours amoureux et poétique du roman moderne (Presses universitaires de Vincennes, 2002), Qu'est que le romantisme ? (CNRS, 2016) ou encore La Poésie délivrée (Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017) et Camille Islert, doctorante en lettres modernes à l’université Paris III Sorbonne-Nouvelle, elle prépare actuellement une thèse intitulée Renée Vivien, une poétique sous influence ?
Le romantisme, une utopie religieuse, politique et amoureuse
Le romantisme désigne dans la société occidentale une sorte d'utopie. L'utopie d'une synthèse harmonieuse entre l'idéal est le réel, l'absolu et le relatif, le spirituel et le matériel. Chaque fois qu'il y a l'idée de conjoindre ensemble l'intelligible et le sensible, ce qui est immatériel et matériel, on est dans le romantisme. Ce romantisme peut se déployer sous différentes formes. Il est d'abord religieux, le romantisme au fond est une forme laïcisée de de la culture chrétienne, de cet idéal dualiste entre l'âme et le corps. Il peut être politique aussi : chaque fois qu'un homme politique veut réaliser l'idéal qu'il porte en lui et qu'il propose sur le terrain concret de la politique, il est romantique. Il est amoureux chaque fois que l'amour aspire à une sorte de rencontre idéale du corps et de l'esprit, du désir et du sentiment. C'est du romantisme au carré parce que c'est non seulement la synthèse entre l'esprit et le corps mais entre deux esprits et deux corps parce qu'il faut être deux pour que l'amour romantique se réalise. (Alain Vaillant)
Renée Vivien et la figure de l'androgyne
Pour Renée Vivien le fait d'être une femme et d'être lesbienne va poser un certain nombre de problèmes, auxquels elle va essayer d'amener des solutions. L'idéal de fusion entre le réel et l'idéal est aussi un idéal de fusion entre le sensible et l'intelligible. Au XIXe siècle, le sensible étant du côté des femmes et l'intelligible du côté des hommes Donc nécessairement pour Renée Vivien il va y avoir un problème puisque dès lors qu'on est dans une relation homosexuelle cette fusion entre le sensible et l'intelligible devient compliquée. Elle est de culture anglaise donc, elle a grandi dans la religion anglicane mais elle se tourne résolument vers le paganisme, son idéal de fusion à elle est davantage du côté de l'androgyne primordiale qui d'ailleurs est une figure qui parcourt tout le romantisme et tout le XIXe siècle. Elle va renouveler fondamentalement cette vision de l'androgynie et de la figure de l'androgyne puisqu'il n'est plus possible dans une relation lesbienne d'imaginer cette réunion entre l'intelligible et le sensible comme une réunion entre femmes et hommes et le fait de cantonner les femmes sensibles c'est aussi les cantonner à l'absence de création. (Camille Islert)
Sons diffusés :
- Extrait du film Bright Star (2009) réalisé par Jane Campion.
- Extrait du film Baisers volés (1968) réalisé par François Truffaut.
- Lecture par Tatiana Werner du poème de Renée Vivien, Paroles à l’amie (1906) sur une musique d'Henri Duparc : 5 mélodies op. 2 : Soupir, pour voix et piano.
- Lecture par Jean Chevrier du poème d'Alphonse Lamartine Le lac (1820)sur une musique de de Jacques Simonot extraite du disque Le beau voyage de Ronsard à Prévert (1955).
- Lecture par Tatiana Werner du poème d'Arthur Rimbaud, Les Premières communions (1871) sur une musique extraite de l'album Vingt regards sur l'Enfant Jésus - Première Communion De La Vierge.
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