De quelle histoire le suprémacisme blanc est-il l’héritier aux Etats-Unis ? Ne s’exprime-t-il qu’à travers les actions de groupes sectaires et violents, ou bénéficie-t-il d’une visibilité légitime dans la vie publique américaine ?
- Françoise Coste Historienne, professeure à l’université Toulouse 2, spécialiste de la droite américaine et du parti républicain
Dans le dictionnaire, le mot « suprémacisme » (qui s’écrit avec un c) n’apparaît pas. C’est un néologisme que nous empruntons à la langue anglaise et que nous comprenons facilement car il fait écho à un mot bien français : suprématie (qui lui s’écrit avec un t), la supériorité de puissance. Le suprémacisme qualifie une idéologie qui considère qu’une catégorie de personnes est supérieure aux autres (jusque là c’est du racisme), mais qui peut asservir les gens qu’elle domine où, bien souvent, la couleur de la peau est une obsession.
En revanche, dans le dictionnaire, nous trouvons le mot « suprématisme ». Il s’agit de cette forme d’art issue du cubisme qui n’use que d'éléments géométriques, mais dont la définition du Trésor de la langue française, le dictionnaire du CNRS et de l’université de Lorraine, nous précise qu’il met en avant les contrastes de couleurs.
Suprémacisme (avec un c), suprématisme (avec un t) sont tous les deux très attentifs aux couleurs, mais l’un produit de la haine et l’autre de l’art !
Nous recevons aujourd'hui Françoise Coste, professeure à l’Université Toulouse - Jean Jaurès. Elle est l’auteure de La présidence des États-Unis de Franklin Roosevelt à George W. Bush (1933-2006) - L'empire de l'exécutif, publié aux Éditions du Temps en 2007 et de Reagan, publié aux éditions Perrin en 2015. Elle est par ailleurs directrice de la revue l’ Ordinaire des Amériques.
Tout ce qui se passe aux États-Unis a, tôt ou tard, un rapport avec l'héritage de l'esclavage, avec la division de la population entre Blancs et Noirs. Je crois qu'il y a quand même eu un grand espoir en 2008 avec l'élection de Barack Obama, qu'une page soit tournée. Et aujourd'hui, on se rend compte que nous nous sommes tous collectivement trompés. Ce n'est pas juste que la page n'a pas été tournée, c’est que nous avons l'impression de revenir en arrière. Et ça, c'est assez désespérant, cela confirme que l'Amérique est engluée dans sa problématique raciale. Françoise Coste
Le système esclavagiste était tellement terrible et barbare que les maîtres et les autorités politiques se sont très vite rendu compte qu'il s'agissait d'un système injustifiable, mais qu'il fallait justifier puisqu'il fallait le pérenniser pour des raisons économiques. L'outil qu'on a inventé pour justifier l'injustifiable - surtout quand on se voulait chrétiens et fervents adeptes de la Bible, avec tous les hommes qui sont faits à l'image de Dieu - c'est la suprématie blanche. Pas dans ces termes à l'époque, mais l'idée que ces Noirs, ces Africains, méritaient d'être esclaves, qu'il ne fallait pas culpabiliser parce qu'ils étaient inférieurs, ce n'était pas vraiment des humains comme nous, les Blancs. Et ça, ça a été psychologiquement très fort parce que ça acquis à la cause esclavagiste les "petits Blancs", c'est à dire les Blancs qui n'étaient pas assez riches pour posséder des esclaves. C'est une chose qu'il faut jamais perdre de vue dans l'histoire des Etats-Unis : l'esclavage était massif aux Etats-Unis, mais il y avait très peu de propriétaires d'esclaves parce que c'était très cher. Nous avons des clichés issus "d'Autant en emporte le vent", la grande plantation etc... Ça existait bien entendu, mais cela représentait moins de 1% des plantations en réalité. Donc, l'esclavage était très rarement pratiqué dans des grandes fermes de grandes plantations. Il était surtout pratiqué à petite échelle dans des familles qui avaient un ou deux esclaves. L'immense majorité des Blancs du Sud étaient des fermiers qui avaient un petit lopin de terre et qui n'étaient pas assez riches pour acheter des esclaves. Ces petits Blancs pauvres ont toujours soutenu le système esclavagiste alors qu'ils n'en bénéficient pas. Et ils ont plus que soutenu ce système, ils ont été mourir pendant la guerre de Sécession pour le défendre, pour défendre des planteurs dont ils ne faisaient pas partie. Et pourquoi on va mourir pour une cause qui ne nous concerne pas ? C'est parce qu'on a l'espoir qu'on deviendra esclavagiste soi même - même si c'est une illusion - et surtout que, nous n'avons pas besoin d'argent, nous n'avons pas besoin d'être riche, parce qu'on a notre peau blanche. Françoise Coste
Sons diffusés :
Archives :
- Extrait de l'émission télévisée Cinq Colonnes à la Une, diffusée le 05/10/1962, RTF / ORTF
- Angela Davis au micro de Jacques Chancel dans l’émission Radioscopie, sur France Inter, le 09/05/1977
- Extrait du discours inaugural au poste de gouverneur de l’Alabama de George Wallace, en 1963, "Segregation now, segregation tomorrow, and segregation forever!"
- Extrait de L'autre Amérique : les hillbillies, émission Satellite, diffusée sur TF1, le 08/01/1976
- Extrait de Mississippi Burning, un film de 1988, réalisé par Alan Parke
Musique : Strange Fruit, chanson enregistrée par Billie Holiday en 1939, chanson tirée d’un poème de 1937 d’Abel Meeropol.
Générique de l'émission : Origami, de Rone
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