1944-1945, du sang dans l’encrier : épisode 4/4 du podcast Les élites en temps de crise

Première et unique audience du procès de Robert Brasillach en cour de justice à Paris le 19 janvier 1945. Condamné à mort, l'ancien journaliste de "Je suis partout" sera fusillé le 6 févier 1945.
Première et unique audience du procès de Robert Brasillach en cour de justice à Paris le 19 janvier 1945. Condamné à mort, l'ancien journaliste de "Je suis partout" sera fusillé le 6 févier 1945. ©AFP
Première et unique audience du procès de Robert Brasillach en cour de justice à Paris le 19 janvier 1945. Condamné à mort, l'ancien journaliste de "Je suis partout" sera fusillé le 6 févier 1945. ©AFP
Première et unique audience du procès de Robert Brasillach en cour de justice à Paris le 19 janvier 1945. Condamné à mort, l'ancien journaliste de "Je suis partout" sera fusillé le 6 févier 1945. ©AFP
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Confronté à la question de l’épuration des intellectuels au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle écrit dans ses "Mémoires de guerre" : "Dans les lettres comme en tout, le talent est un titre de responsabilité".

Avec
  • Gisèle Sapiro sociologue, directrice de recherche au CNRS et directrice d'études à l'EHESS.

Que trouve-t-on en vitrine des librairies ? Des livres au titre joli : La Conquérante, Les Quatre Jeudis, L’Homme à cheval, Les Chiens de paille, Dante et Mistral, Le Pain et le vin… Ils sont publiés chez Gallimard, chez Plon, chez Denoël ou encore les éditions du Cadran. Ils sont signés Robert Brasillach, Pierre Drieu la Rochelle, Charles Maurras, Lucien Rebatet.  Brasillach, fusillé pour collaboration ; Rebatet, condamné à mort ; Drieu la Rochelle, qui se suicide pour ne pas être arrêté ; Maurras, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale.

Parfois, il y a du sang dans l’encrier et "Des mots qui tuent", titre de l’ouvrage de la sociologue et historienne Gisèle Sapiro : face à la guerre, quelle est la responsabilité de l'intellectuel ?

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Que faire des intellectuels qui ont soutenu la collaboration ?

À l’automne 1944, alors que s’ouvrent les procès de la Libération, les premiers noms à passer devant les juges sont connus du grand public : Maurras, Brasillach, Rebatet, Céline… Des intellectuels ayant soutenu la politique de collaboration doivent se défendre de l’accusation de trahison nationale et d’intelligence avec l’ennemi. Ils encourent la peine capitale.

"Il y a des mots aussi meurtriers que des chambres à gaz". Gisèle Sapiro cite ici Simone de Beauvoir, qui explique pourquoi elle a refusé de signé la pétition de recours en grâce de Robert Brasillach. "Dans une situation comme l'Occupation, (...) comme dans tous les régimes autoritaires, quand il y a un monopole de la parole et pas de possibilité d'exprimer des avis contraires, la parole peut légitimer la violence d'État, la justifier" explique l'historienne et sociologue.

Gisèle Sapiro remarque que les écrivains collaborateurs appartiennent à une élite sociale : "c'est un homme qui est plutôt en fin de carrière, issu le plus souvent de la moyenne bourgeoisie parisienne, qui a fait des études secondaires (réservées aux élites car payantes jusqu'en 1933) et qui s'engage dans des études supérieures pas assez poussées pour accéder un poste élevé dans la fonction publique ou dans l'enseignement supérieur. La moitié d'entre eux vivent de leur plume comme journaliste professionnel, tout en poursuivant des ambitions littéraires".

Pour leurs contemporains comme pour nous, les procès des écrivains collaborateurs soulèvent une foule de questions. Qui sont ces écrivains ayant collaboré avec l’occupant ? Comment définir leur responsabilité, si les mots ne sont pas exactement des actes ? Quels textes sont jugés les plus sévèrement par les juges, et quelles défenses sont déployées par les accusés ? Les intellectuels auraient-ils servi de boucs émissaires dans une France qui devait se réconcilier avec elle-même, comme le suggère très tôt une partie du monde des lettres ?

Notre invitée

Gisèle Sapiro est directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS. Spécialiste des rapports entre littérature et politique, et notamment de la question de l’engagement des intellectuels, elle est l’autrice de :

Sons diffusés dans l'émission

  • Lecture : extrait de Madame Bovary de Gustave Flaubert, 1857, lu par Jacqueline Morane - Édition Encyclopédie Sonore
  • Extrait : Monsieur Batignole, film de Gérard Jugnot, 2002
  • Archive : le procès de Charles Maurras - Actualités Françaises, 1er janvier 1945
  • Archive : Lucien Rebatet interrogé par Jacques Chancel dans l'émission Radioscopie - France Inter, 10 décembre 1969
  • Archive : Jean-Paul Sartre s'exprime au sujet du procès de Nuremberg - Radio Canada, 1967