

Ce matin, dernier volet de notre série consacrée aux écrits intimes avec une étrange correspondance, une correspondance oubliée, dont la mémoire resurgit aujourd’hui grâce à la découverte de lettres écrites par une jeune fille, Louise Pikovsky, durant la Seconde Guerre mondiale.
Stéphanie Trouillard (Journaliste, autrice de bande-dessinée).
Il n’y a pas si longtemps, il était impensable d’effectuer ses études sans apprendre le latin et le grec, un passage essentiel pour comprendre notre langue, le français, et pour structurer notre pensée. Sans ces langues anciennes, qui en réalité ne sont pas mortes, les études étaient considérées incomplètes et nous ne dirons jamais assez combien le latin et le grec sont, à l’école, des matières nécessaires. C’était évidemment le cas dans les années 1940, quand Madame Malingrey enseignait ces langues au lycée Jean de La Fontaine, dans le 16e arrondissement de Paris. Ses élèves l'appréciaient, au moins l’une d’entre elles, la petite Louise, une gamine brillante. En janvier 1944, Madame Malingrey reçut un paquet accompagné d’un petit mot :
Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour…
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Après la guerre, spécialiste de Jean Chrysostome, Madame Malingrey a poursuivi sa carrière qu’elle a terminée comme professeure émérite de l'Université Lille-III, après avoir traversé le siècle : elle est morte en 2002 à l’âge de 98 ans. La petite Louise, elle, n’est jamais revenue. Bien plus tard, en 2010, ces lettres ont été retrouvées dans une armoire du lycée Jean de La Fontaine. Commence alors une enquête, celle autour du destin d’une enfant de 17 ans qui aimait le latin et le grec, qui aimait la vie et son enseignante, mais déportée parce que juive : Louise Pikovsky.

Nous recevons ce matin, Stéphanie Trouillard, journaliste pour France 24 et passionnée d'histoire. Elle a réalisé en 2017 un webdocumentaire, disponible en suivant ce lien, en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, sur l'histoire de Louise Pikovsky. À partir des documents de Louise, elle a pu retrouver des témoins, des cousins éloignés et des anciens élèves. Ce travail est lauréat 2018 du prix Philippe Chaffanjon et de nombreux autres prix. En 2020, elle scénarise et réalise avec Thibaut Lambert aux dessins une adaptation en bande dessinée, Si je reviens un jour... Les lettres retrouvées de Louise Pikovsky, parue aux éditions Des ronds dans l'O.
Lorsque j'ai lu les lettres de Louise Pikovsky qui étaient destinées à sa professeure, j'ai été vraiment frappée par l'intelligence, la maturité, de cette jeune fille qui n'avait que 14 ans lorsqu'elle a les a écrites, pour la plupart durant l'été 1942. Voir cette intelligence balayée par l'histoire, par la Seconde Guerre mondiale, quel gâchis... Louise représente toutes les jeunes filles qui ont été assassinées durant la guerre, qui étaient destinées à un brillant destin et qui n'ont pas la chance de pouvoir compter dans notre société, dans notre pays. Stéphanie Trouillard
Louise ne s'exprime pas beaucoup sur la guerre. Elle l'évoque plutôt par des petits points de détail. Par exemple, elle demande à sa professeure si les souffrances ont un arrêt un jour, on comprend donc qu'elle est torturée par ce qui se passe autour d'elle. On retrouve aussi un aspect religieux dans ses lettres. Louise était de confession juive et sa professeure, Mademoiselle Malingrey, était catholique pratiquante. Il y a un échange entre ces deux femmes, Louise a des interrogations car les persécutions contre les Juifs sont assez intenses à cette époque-là et elle s'interroge sur le sens à donner à la religion, à la foi, sur des pratiques qu'elle considère comme archaïques à l'époque. Ce sont donc des lettres très profondes, d'une très grande maturité, mais aussi des lettres d'une jeune fille de 14 ans, tout simplement parce qu'elle se pose aussi des questions sur le sens de l'amitié. Elle dit qu'elle n'a pas rencontré encore de meilleure amie. Louise c'est tout ça en même temps, c'est une grande intelligence, mais c'est aussi une jeune fille de son époque, une adolescente de 14 ans. Stéphanie Trouillard
Ce qu'on a voulu montrer à travers la bande dessinée, c'est qu'il s'agit d'une famille normale, de personnes aimantes qui vivent à Boulogne-Billancourt, qui ont leur train-train quotidien. Louise va au lycée comme toutes ses autres camarades, et petit à petit, il y a cette menace qui pèse autour d'eux, des premières persécutions, des élèves qui commencent à disparaître et qui sont déportés. Cela montre aux élèves d'aujourd'hui que, finalement, c'est arrivé à cette jeune fille qui avait une vie tout à fait normale, qui n'avait absolument rien fait de mal. Cela fonctionne car les élèves de troisième qui étudient la Shoah ont l'âge qu'avait Louise à l'époque. Ils peuvent s'identifier à cette jeune fille qui vivait dans leur pays, qui allait à l'école à Paris. Stéphanie Trouillard
Sons diffusés :
Archives :
- Témoignage du Dr Dreyfus sur le camp de Drancy, dans l'émission L'art et les hommes, RTF / ORTF, le 15/11/1959
- Extrait du film La Rafle, réalisé par Roselyne Bosch
- Extrait de « Si je reviens jour », comment les lettres de Louise Pikovsky ont-elles changé votre vie ? Paroles de Nicole Minot, un documentaire de France 24
Musique : Comme toi de Jean-Jacques Goldman
Lectures par Camille André : Extraits des lettres de Louise Pikovsky
Générique de l'émission : Origami de Rone
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