

En 1919, Marcel Proust reçoit le Prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs, le deuxième volet d’À la recherche du temps perdu. La décision provoque une polémique dont la portée est difficile à mesurer : comment s’imposer dans le champ littéraire. D’ailleurs, qui lit Proust ?
- Sylvie Ducas professeure de littérature contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste des questions relatives au statut de l’écrivain et aux métiers du livre
Le 8 septembre 1927 – Proust est mort depuis déjà cinq ans – le journal L’Intransigeant nous donne l’opinion anglaise sur Marcel Proust : "L’ouvrage de M. Léon Pierre-Quint sur la vie et les œuvres de Marcel Proust a été traduit en anglais, ce qui a donné l’occasion à un critique britannique de fournir son opinion sur l’auteur de La Prisonnière, dans le supplément littéraire du Times. Et c’est une opinion plutôt défavorable : La subjectivité exagérée qu’entraîne la maladie, dit-il notamment, se retrouve dans tous les ouvrages de Proust. Proust, essentiellement un malade ?" La question pourrait se poser pour les autres pays : qui est Proust au Japon, au Brésil, aux États-Unis ?
Un "ovni" littéraire
Proust est un parfait exemple de snobisme littéraire : un de ces classiques qu’il faut "relire", car tout un chacun est censé avoir lu. Pourtant, si tout le monde connaît l’auteur et son grand-œuvre, combien sont ceux à avoir fini la Recherche ? Bien peu, en réalité : il semblerait que, dans les soixante ans qui ont suivi l’attribution du Prix Goncourt au volume À l’ombre des jeunes filles en fleurs, un lecteur sur trois se soit arrêté au premier volume, Du côté de chez Swann.
La question de la réception de l'œuvre de Marcel Proust a d’ailleurs intéressé les spécialistes : l’écrivain était-il connu lors de la parution du premier tome ? Avoir remporté le Prix Goncourt en 1919 a-t-il permis de transformer un succès d’estime en succès de librairie ? Et ce prix était-il une évidence à l’époque, comme il l’est pour nous aujourd’hui ?
Sylvie Ducas, historienne des prix littéraires, explique que le contexte n'est pas favorable à Proust au moment de ses premières publications. "Il a une écriture qui désarçonne les Français. On est dans une ère naturaliste (...). Il faut attendre très longtemps dans la critique littéraire, et grâce à beaucoup d'études universitaires, pour dire que Proust est un monument majeur, qu’il est une écriture moderne. Quand il publie ses premiers volumes et obtient le prix Goncourt en 1919, il détonne par rapport à un horizon d'attente de livres réalistes."
La consécration de l'auteur
De plus, une fois l’écrivain consacré, comment son rayonnement est-il devenu international ? Comment Proust est-il lu, traduit, analysé sous d’autres latitudes ?
Faire cette histoire, c’est assister à la création d’un mythe, à la fabrication d’un écrivain national et d’une référence universelle ; c’est aussi découvrir qu’un monument de la littérature française peut en dire long sur les milieux culturels brésiliens, si l’on consent à changer de cadre d’analyse.
L’historien Étienne Sauthier évoque la question du référent et de la connotation en jeu avec la traduction. "Comment rendre la madeleine au Brésil ? On va certes rendre le gâteau, mais la madeleine parle autrement à un Français. C'est très souvent le petit gâteau du goûter qu'on retrouve en rentrant de l'école. Toute cette dimension-là, on ne l'a pas nécessairement au Brésil".
Écoutez et abonnez-vous à la collection d’émissions consacrée à Marcel Proust pour (re)découvrir cette figure centrale de la littérature française, à travers l’économie, la gastronomie, le cinéma, la philosophie ou la médecine dans "Proust, le podcast".
Nos invité·e·s
Sylvie Ducas est professeure de littérature française contemporaine à l’université Paris Est-Créteil (UPEC). Elle a notamment publié :
- La littérature à quel(s) prix ? Histoire des prix littéraires (La Découverte, 2013)
- Prescription culturelle : avatars et médiamorphoses (co-dirigé avec Brigitte Chapelain, Presses de l’ENSSIB, 2018)
Étienne Sauthier est professeur d’histoire-géographie dans le secondaire. Il est docteur de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle et a publié une version abrégée de sa thèse : Proust sous les tropiques : Diffusion, réceptions, appropriations et traduction de Marcel Proust au Brésil (1913-1960) (Presses universitaires du Septentrion, 2021).
Sons diffusés dans l'émission
- Archive : Claude Farrère évoque son roman Les Civilisés, Prix Goncourt en 1905 - RTF, 15 janvier 1951
- Lecture par Pierre-Marie Baudoin : phrases de Roland Dorgelès, concurrent de Marcel Proust pour le Prix Goncourt de 1919
- Archive : l'écrivain André Maurrois s'exprime au sujet de Marcel Proust dans l'émission Tribune de Paris - RDF, 18 novembre 1947
- Archive : Céleste Albaret évoque le jour où le Prix Goncourt a été décerné à Marcel Proust en 1919 - RDF, 15 juin 1950
- Lecture par Pierre-Marie Baudoin : Manuel Bandeira, l’un des futurs traducteurs de la Recherche, parle de Proust dans l'article "Iniciação em Marcel Proust" de la revue Souza Cruz en novembre 1930 (traduction d'Étienne Sauthier)
- Archive : Marguerite Duras qualifie Proust par la formule "c'est tout, c'est l'essentiel" - RTF, 12 décembre 1963
- Extrait : Little Miss Sunshine, film de Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006
- Archive : Luchino Visconti sur l'univers proustien au micro d'Henry Chapier enregistré à Cannes le 3 juin 1971 diffusé dans Le cinéma retrouvé - France Culture, 8 août 1994
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