S’il existe des codes du deuil, les règles vestimentaires relèvent de la coutume et la bienséance. Pour éviter des fautes de goût, des textes normatifs vont alors aiguiller les individus incertains. Qui décide de ces règles ? Le noir a-t-il toujours été si présent lors des enterrements ?
- Manuel Charpy Chargé de recherches au CNRS, spécialiste de l’histoire de la culture matérielle
- Valérie Albac doctorante en histoire à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l’Université de Franche-Comté / IFM
Ce sont des petits cadres de bois verni noir, souvent ils tiennent dans la main, ils encerclent un verre bombé sous lequel se déploient et s’entrecroisent des fleurs noires ou brunes et des initiales, parfois il y a aussi une date. Ce sont des reliquaires faits avec les cheveux des morts dont on veut garder un souvenir auprès de soi, comme un petit morceau du cher disparu. Mais parfois de ces cheveux on s’en fait même un collier ou une chaîne de montre pour l’avoir tout contre soi et pouvoir le toucher. Ces bijoux iront avec la laine noire du grand deuil, avec la garde-robe semée de blanc du demi-deuil et prendront le relais quand on pourra de nouveau porter des robes fleuries. Ils seront une trace palpable de ceux qui ont disparu. La mort s’accompagne souvent d’usages très codifiés, il y en a qu’on a oublié, d’autres qui désormais nous dérangent, alors aujourd’hui on va se demander dans le cours de l’histoire comment on a porté le deuil et pour dire quoi. (Perrine Kervran)
Faut-il porter du noir toute la durée du deuil ? La soie violette est-elle autorisée ? Combien de temps doit-on porter le deuil pour un époux ? Pour un parent ? Pour un enfant ? Peut-on jouer au tennis si l’on porte le deuil ? Toutes ces questions sont celles des abonnées de revues de mode du XIXe siècle, de La Mode illustrée à Femina. C’est dire combien, à l’époque, les règles vestimentaires du deuil sont à la fois une préoccupation et un ensemble de coutumes relativement méconnues.
Porter le deuil sur soi est une pratique largement partagée dans ce siècle de tous les bouleversements. Comment les codes vestimentaires reflètent-ils les hiérarchies et les structures sociales en vigueur, et leurs reconfigurations ? Quels liens entretiennent le deuil et la mode ? Plus largement, comment rend-on hommage aux morts au tournant du siècle ? Nous en parlons avec nos invités.
Manuel Charpy, chargé de recherches au CNRS, directeur d’ InVisu (laboratoire CNRS-INHA) depuis janvier 2019. Spécialisé en histoire de la culture matérielle et de la culture visuelle, il a notamment publié Intérieurs parisiens. De l’atelier aux appartements, XVIIIe-XXe siècles (Flammarion, catalogue d’exposition, 2014). Il travaille actuellement sur l’histoire du vêtement et de la mode et sur l’histoire du portrait.
Et Valérie Albac, doctorante en histoire à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l’Université de Franche-Comté / IFM depuis 2018 sous la codirection de Dominique Kalifa “Le vestiaire du deuil. Code, mode, pratiques, matériaux, circulations et influences en France, XIXe-XXe siècles”. Elle a récemment écrit un article dans la revue Sensibilités 2020/2 (N° 8) intitulé "« Plafond gris-bleu clair ; six mois de deuil ». Le deuil, une étiquette sans affect ?".
Dès le XIXe siècle, la couleur des tenues dépend principalement de la période du deuil mais aussi du degré de la relation avec le défunt, allant d’une période dite de "grand deuil" à un "demi-deuil" : du noir intégral au gris, en s’autorisant des nuances de violet. (Valérie Albac)
Au XXe, les individus œuvrent pour sortir du deuil lorsqu’au XIXe siècle, on cherche à rester dans le deuil pour combattre l’oubli. (Manuel Charpy)
Il existe un traitement très pratique du deuil, dont les tendances évoluent selon des convenances édictées dans les manuels de savoir-vivre et la presse et les guides de magasins de mode. (Valérie Albac)
On note un télescopage troublant entre l’expérience plus intime du deuil au XIXe siècle et l’ultra codification sociale produite par les magasins de mode. D’ailleurs, dans cette apparente uniformité, la distinction sociale se niche dans les détails, notamment le développement de la teinture de couleur noire. (Manuel Charpy)
Sons diffusés :
Extrait - La mariée était en noir de François Truffaut (1968).
Archive - Les coutumes du point de vue de la sociologie - Connaissance de l'homme - RTF - 01/01/1961.
Archive - Nous sommes tous des collectionneurs - D'hier et d'aujourd'hui - TF1 - 14/05/1979.
Lecture - La Mode illustrée, n° 45, 9 novembre 1902, rubrique « Modes » (p. 55), lu par Olivier Martinaud.
Lecture - Mort de ma grand mère extrait de Le Côté de Guermantes, troisième tome de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (1921), lu par Olivier Martinaud.
Lecture - The Change de Germaine Greer (1991), lu par Olivier Martinaud.
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