

Louis XIV accède au pouvoir en 1643. En 1658, Molière conquiert Paris, et bientôt la cour, où il devient l’un des artistes attitrés du Roi-Soleil. Quels sont les rapports de Molière avec le pouvoir absolu ? En quoi éclairent-ils les liens entre théâtre et politique au temps du Grand Siècle ?
- Patrick Dandrey Professeur émérite de littérature française du XVIIe siècle à Sorbonne Université
- Thierry Sarmant Conservateur général aux Archives nationales
Molière est né en 1622 à Paris. Seize ans plus tard, Louis XIV voit le jour au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye. D’absolutisme, il n’en est pas encore question (et pour longtemps d’ailleurs). Tous les deux sont unis dans la gloire, celle de leur vivant et celle de la postérité : un homme de théâtre lumineux et un roi qualifié de Soleil. Nous savons que nos dirigeants sont un peu des acteurs, qui oscillent entre la tragédie et la comédie. Nous ne les imaginons pas monter sur scène. Louis XIV, lui, dansait, jouait, déclamait sur les planches !
Molière à la cour de Louis XIV
C’est pendant les jeunes années du règne de Louis XIV que Molière est actif à Paris et à la cour comme comédien et comme auteur dramatique. Cette période pleine de gloire, de faste et d’éclat contraste avec la période plus sombre de la fin de la vie du monarque, comme le souligne Thierry Sarmant, conservateur général aux Archives nationales : "Quand Louis XIV prend le pouvoir en 1661, il gouverne par lui-même, sans premier ministre, et ambitionne de faire éclater sa réputation dans toute l'Europe, d'abord par la guerre et des conquêtes, mais aussi comme un mécène et comme le patron de tous les arts."
À la cour, Molière est tapissier et valet de chambre de Louis XIV, une charge qui implique qu’il assiste chaque matin au lever du roi. En tant qu’artiste, Molière est également placé sous la protection royale, car il reçoit une gratification et doit écrire des pièces de commande pour la cour. Louis XIV est en effet un monarque qui apprécie et subventionne les arts, en particulier la danse, mais aussi la musique et le théâtre, et a à cœur d’attirer des artistes à la cour. A travers une politique de gratification et de commande, le Roi-Soleil finance un art de cour qui participe d’une stratégie de rayonnement symbolique de son pouvoir. Le roi, sa personne et sa fonction sont en effet glorifiés et exaltés dans les pièces qu’écrivent pour lui Molière et Lully, les comédies-ballets. Le soutien de Louis XIV à Molière s’exprime notamment par la création d'une troupe royale, la Troupe du Roy au Palais-Royal en 1665, lorsque, en 1665, la troupe de Molière passe sous la tutelle de Louis XIV, qui la dote d’une généreuse pension annuelle.
Pour Patrick Dandrey, "Molière n'est pas du tout thuriféraire et n'est pas dans le culte du roi. Il a une pensée de la liberté, de l'autonomie du sujet, de la raison qui ne s'accorde pas avec un État absolu, clos et fermé." Le spécialiste de la littérature du XVIIe siècle précise que Molière et Louis XIV ont néanmoins une accointance d'intérêt : "Molière pratique l'éloge avec mesure. Grâce à la situation comique, il est entre la familiarité de Clément Marot avec François Ier, et le caractère empesé que l'on trouve chez Racine et Boileau dans la deuxième moitié du règne de Louis XIV, quand ils sont historiographes, tout en génuflexion et en révérence."
Louis XIV, un roi sur scène
Les pièces de Molière font apparaître le pouvoir royal en majesté, mais dépeignent aussi la cour, qui est à la fois le public du dramaturge et l’un de ses objets de moquerie favoris. Molière tourne en dérision les courtisans, le jeu des apparences de la cour, ainsi que la bourgeoisie. Le dramaturge cherche ainsi à faire rire les aristocrates aux dépens des bourgeois. La cour est par ailleurs un lieu extrêmement théâtral, qui réalise un parfait mélange entre les conventions de l’étiquette et les intrigues, cabales et autres complots qui émaillent la vie des courtisans. À ce titre, c’est un laboratoire d’observation fascinant pour un homme de théâtre, d’autant que la vie du roi et de la cour sont une perpétuelle mise en scène. "Le théâtre imbibe la société, décrit Patrick Dandrey. Il est l'équivalent de l'image en mouvement d'aujourd'hui – celle des réseaux sociaux, des ordinateurs, de la télévision… Au XVIIe siècle, le théâtre est l'incarnation de la pensée, des modes et des rites sociaux. Il est à la fois le reflet de la société et son guide."
La théâtralisation du pouvoir est à son comble lors des fêtes royales organisées notamment à Versailles, qui célèbrent en grande pompe la gloire du Roi-Soleil. Molière est l’un des grands ordonnateurs de ces festivités, qui sont généralement émaillées de divertissements où se mêlent musique, danse, poésie et théâtre. Avec son comparse Lully, Molière fait l’éloge du roi en composant des comédies-ballets, dans lesquelles le roi se produit parfois lui-même, car il est bon danseur. Les arts sont mis au service de la glorification et de la mise en scène du pouvoir absolu, encore renforcé par l’apparat de la cour et par la magnificence des célébrations.
Tartuffe ou la censure royale
Si le roi protège les arts, il peut aussi les contrôler, voire les censurer. L’affaire Tartuffe est l’un des moments de la carrière de Molière où le pouvoir royal s’exerce avec le plus de sévérité sur la production théâtrale. En 1664, la première version de Tartuffe, Le Tartuffe ou l'Hypocrite, est interdite après une unique représentation. La deuxième version de la pièce, L'Imposteur, donnée en 1667, est à nouveau interdite et ne connaît, elle aussi, qu’une représentation. Ce n’est qu’un an et demi plus tard, en 1669, après la signature de la Paix clémentine, qui met fin à la crise janséniste, que la version définitive de la pièce, Le Tartuffe ou l’Imposteur, est enfin autorisée.
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Le Pourquoi du comment : l'histoire
Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.
Pour en parler
Thierry Sarmant est conservateur général aux Archives nationales, spécialiste de l’Ancien Régime.
Il a notamment publié :
- Louis XIV. L'univers du Roi-Soleil (avec Alexandre Maral, Tallandier, Château de Versailles, 2014)
- Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2014)
- Régner et gouverner : Louis XIV et ses ministres (avec Mathieu Stoll, Perrin, 2010 - réédition poche en 2019)
- Les Demeures du Soleil. Louis XIV, Louvois et la surintendance des bâtiments du roi (Champ Vallon, 2003)
Patrick Dandrey est professeur émérite de littérature française du XVIIe siècle à Sorbonne Université, spécialiste de Molière et de La Fontaine.
Il a notamment publié :
- Trois adolescents d’autrefois. Rodrigue (Le Cid), Agnès (L’École des femmes) et Hippolyte (Phèdre) (Honoré Champion, 2021)
- Quand Versailles était conté. La cour de Louis XIV par les écrivains de son temps (Les Belles Lettres, 2009, réédition en 2022)
- L'Éloge paradoxal de Gorgias à Molière (Presses universitaires de France, 1997, réédition chez Hermann, 2015)
- Molière ou l'esthétique du ridicule (Klincksieck, 1992, réédité en 2002)
Références sonores
- Archive d'un sketch radiophonique d'Yves Jamiaque sur Louis XIV avec Philippe Noiret, RTF, 12 novembre 1961
- Archive d'un reportage à l'occasion de la sortie du film Louis, enfant roi de Roger Planchon, Antenne 2, 20 avril 1993
- Archive du remerciement au roi de Molière interprété par Madame Simone, France Culture, 14 février 1969
- Archive sur Louis XIV et la censure dans l'émission Prestige du théâtre, RTF, 25 septembre 1956
- Générique de l'émission : Origami de Rone
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