Comment fait-on une histoire attentive aux exclus des représentations historiques traditionnelles ? Ce matin nous retraçons en compagnie d'Anne Lafont, les visages et les histoires des exclus de l'histoire de l'art.
- Anne Lafont Historienne de l'art, directrice d'étude à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Ils sont trois, ils sont rois, et, dans la Bible, plus précisément dans l’évangile de Matthieu, ils suivent une étoile qui les conduit vers Bethléem à la rencontre d’un nouveau-né. Les rois mages sont pratiques pour décorer la crèche à Noël, mais aussi pour faire travailler notre mémoire : comment s’appellent ces trois rois-mages ? Il en manque toujours un : il y a, Gaspard, Balthazar et… Melchior ! Bravo à ceux et celles qui ont donné les trois noms sans hésitation. Maintenant, deuxième exercice de mémoire : qu’apportent les rois mages ? De l’or, de l’encens et… de la myrrhe, une résine aromatique ! Enfin, de Gaspard, de Balthazar et de Melchior, lequel est noir ? C’est Balthazar. Il est représenté en sculpture, en peinture, en gravure, mais il n’est pas le seul Noir de l’histoire de l’art, loin de là. Dans nos musées, la figure de l’Africain et de l’Africaine fut longtemps – c’est paradoxal – omniprésente et invisible. Sans doute une histoire de mémoire sur laquelle il faut porter un nouveau regard. C’est ce que fait l’historienne de l’art Anne Lafont, un regard sur les toiles du passé pour comprendre la réalité d’aujourd’hui.
Tout au long du XVIIIème se met en branle tout un travail d'émancipation par l'image, où les figures noires [...] deviennent de plus en plus l'objet de portraits et d'images autonomes. C'est-à-dire qu'elles ne sont plus directement dans l'enceinte, dans le cadre même du tableau toujours articulés à une personnalité blanche, qui est l'aristocrate la plupart du temps, mais deviennent l'objet de pastelles, d’aquarelles autonomes, d'abord sous la forme de petits formats, ou sous la forme même de tableaux.
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Cette question de l'ombre, qui est quelque chose comme un faire valoir, qui est une nécessité artificielle pour mettre en valeur le blanc n'est pas complètement exempt des relations qui peuvent se nouer dans une société coloniale, esclavagiste, qui était celle du XVIIIème siècle. Donc c'est ce que j'ai voulu faire finalement, aller voir comment la dimension esthétique est rattachée à une histoire politique que l'on connait bien parallèlement.
Il m'a paru tout à fait primordial de mettre en valeur le fait que la blancheur est elle aussi une construction, et qu'il y avait des artifices, à l'aide de maquillage, de pigments, pour faire de soi un blanc. Et que cette mise en oeuvre de la blancheur était exponentielle au moment du risque de métissage créé par la société coloniale. [...] Je reviens à ce que disait Levi Strauss [...] qui explique bien à quel point il n'y a pas de fixité de la race. [...] Cette fabrique de la blancheur au XVIIIème siècle est une réponse à cette évidence que métissage il va y avoir.
Quand on regarde bien, chaque famille française a un lien, non pas un lien coupable, mais un lien avec l'histoire coloniale. Quand on regarde vraiment bien [...], même à un degré divers, finalement, l'histoire coloniale de la France sur la très longue durée et dans toutes ses facettes, il est très rare qu'une famille française y échappe complètement. On est impliqué tous dans cette histoire commune, et ce n'est pas nécessairement dans un rapport coupable à ça, mais un rapport conscient. [...] Il y a un moment où l'histoire personnelle croise l'histoire coloniale de la France.
Sons diffusés :
Archive : Claude Levi-Strauss sur le racisme, INA, 1950
Lectures par Olivier Martinaud :
- Théorie des ombres et des lumières en art, Philippe de Champaigne
- Réflexions sur la traite et l’esclavage des Nègre, Ottobah Cugoano
Musiques :
- La liberté des nègres de Louis Martini
- Jol’inkomo, de Miriam Makeba 1967
Extrait de film : Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019
L'équipe
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