Devenu un symbole de la droite identitaire, la figure de Charles Martel cristallise le mythe du monde chrétien opposé au monde islamique. Comment la bataille de Poitiers et le chef franc ont-ils fait l'objet de multiples récupérations politiques et idéologiques, de l'époque médiévale à nos jours ?
- Annliese Nef Historienne, professeure à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la Méditerranée islamique
- William Blanc Historien, médiéviste, spécialiste de la culture populaire
732, la bataille de Poitiers ! En 1783 paraît un petit guide très pratique pour visiter la basilique de Saint-Denis : Les tombeaux des rois, reines, princes et princesses du sang, et autres personnes de distinction, qui sont dans l’église de l'abbaye royale de Saint-Denys en France. Nous découvrons les tombeaux qui sont vers la grille, du côté sud en descendant du chœur : "Clovis II, appellé (sic) sur son Épitaphe, Ludovicus Rex filius Dagoberti, a régné dix-huit ans ; il est mort en 656, âgé de vingt-trois ans. Charles Martel est à son côté avec cette inscription, Carolus Martellus Rex, quoiqu’il n’ait porté pendant sa vie ni la qualité de Roi, ni le nom de Martel. Il est mort en 741." L’histoire serait-elle un tissu de mensonge où les mythes ont la vie dure ?
Mythe et récupérations idéologiques de Charles Martel
Duc des Francs et maire du palais, Charles Martel dirige la Francie de 718 jusqu’à sa mort en 741. Il mène de nombreuses campagnes militaires, dont la bataille de Poitiers (ou Tours ?) en 732 (ou 733 ?), où les troupes franques repoussent les armées arabo-berbères menées par l'émir de Cordoue Abd el-Rahmân.
De nos jours, la figure de Charles Martel est instrumentalisée par l'extrême droite identitaire qui brandit le chef franc comme un défenseur de la chrétienté face au prétendu envahisseur musulman. La récupération idéologique du personnage franc n'est pas nouvelle, même si elle a revêtu des significations variées.
Les textes médiévaux du IXe siècle attestent d'une mémoire peu positive à l'égard de Charles Martel, considéré par les chrétiens comme un pilleur d'Église, qui a spolié les biens ecclésiastiques pour ses intérêts propres.
"Charles Martel pose un problème [pour les chroniqueurs royaux et les souverains qui revendiquent descendre des Carolingiens], parce qu'il assume une position royale sans être roi. Il usurpe les pouvoirs de la Couronne, des Mérovingiens légitimes. Une manière de contourner ce problème était de (…) le mettre en avant comme un exemple à ne pas suivre", explique l'historien William Blanc.
Au XIXe siècle, le regain d’intérêt pour Charles Martel est suspendu à deux lectures opposées de l’histoire d’Al-Andalus, qui contrefont la vérité historique. D'un côté, Charles Martel aurait sauvé la France, voire l'Europe, de la destruction et de l’oppression islamique. De l'autre, la victoire franque serait une perte culturelle pour les peuples chrétiens.
"Aujourd'hui, tous les historiens peuvent se mettre d'accord sur le fait que (...) nous ne faisons pas une hiérarchie des cultures ou des mondes sociaux. L’idée de dire qu’Al-Andalus aurait été en avance sur le monde contemporain des VIIIe et IXe siècles n'est pas un débat historien", précise l'historienne Annliese Nef.
Figure controversée, objet de multiples récupérations idéologiques, comment le mythe identitaire autour de Charles Martel s'est-il construit ? Comment la bataille de Poitiers a-t-elle fait l'objet d'une récupération inverse dans l'histoire de l'islam médiéval ?
Nos invité·e·s
William Blanc est historien, spécialiste du Moyen Âge et de ses récupérations politiques. Il a notamment écrit :
- Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (avec Christophe Naudin, Libertalia, 2015, réédition en poche en 2022)
- Le Roi Arthur. Un mythe contemporain (Libertalia, 2016)
- Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national (avec Aurore Chéry et Christophe Naudin, Inculte, 2013, Libertalia 2016)
Annliese Nef est professeur des universités à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a notamment publié :
- Révolutions islamiques. Émergences de l’Islam en Méditerranée (VIIe-Xe siècle)* (École française de Rome, 2021)
- Les Bains de Cefalà (Xe-XIXe siècle). Pratiques thermales d’origine islamique dans la Sicile médiévale (co-dirigé avec Alessandra Bagnera, École française de Rome, 2018)
- L’Islam a-t-il une histoire ? Du fait religieux comme fait social (Le Bord de l'eau, 2017)
- Chrétiens, juifs et musulmans dans la Méditerranée médiévale - Études en hommage à Henri Bresc (co-édité avec Benoît Grévin et Emmanuelle Tixier (De Boccard, 2008)
- La Méditerranée entre pays d’Islam et monde latin (milieu Xe-milieu XIIIe siècle) (avec Philippe Jansen et Christophe Picard, Sedes, 2000)
Sons diffusés dans l'émission
- Archive sur l'histoire de Charles Martel racontée dans l'émission Histoire de France en bandes dessinées diffusée sur FR3 en 1976
- Archive d'une émission jeunesse de l'ORTF en 1966
- Lecture par Daniel Kenigsberg de la vision de saint Eucher, traduit par Anne Wagner dans l'ouvrage Les Hommes et le feu de l'Antiquité à nos jours dirigé par François Vion-Delphin (Presses universitaires de Franche Comté, 2007)
- Musique de Jacques Offenbach, Boléro de Charles Martel extrait de l'opéra bouffe Geneviève de Brabant, composé en 1859
- Chant gallican suivi d'une musique arabo-andalouse composée vers le VIIIe-IXe siècle
- Lecture par Daniel Kenigsberg de la bataille de Poitiers racontée par François-René de Chateaubriand dans Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1859
- Archive de l'historien Georges Duby qui s'exprimait en 1974 dans l'émission Les Grandes Batailles du passé sur l'ORTF
L'équipe
- Production
- Production déléguée
- Collaboration
- Collaboration
- Collaboration
- Réalisation
- Production déléguée