

Chansons, livres scolaires, affiches... l'image du maréchal Pétain en habit militaire, héros de la Première Guerre mondiale et homme providentiel, inonde la France de juin 1940. Retour sur la fabrication d'un mythe qui conduisit les deux Chambres à confier au maréchal Pétain les pleins pouvoirs.
- Olivier Wieviorka Historien, professeur à l'École normale supérieure de Cachan
- Audrey Mallet Docteure en histoire contemporaine, responsable du département de Langue et Culture à l’ENSAE et chercheuse associée au LARHRA-CNRS
Où en sommes-nous avec l’histoire et la mémoire du maréchal Pétain ? Général, maréchal, puis traître, Philippe Pétain est devenu un symbole : "Maréchal, nous voilà" était chanté durant l’Occupation ; le revoilà soudain dans l’actualité quand il est question de "Vichy, un passé qui ne passe pas", selon le titre d’un ouvrage des historiens Éric Conan et Henry Rousso. Vichy porte une mémoire sombre, celle d’un passé qui décidément ne passe pas.
Le symbole Pétain avant juin 1940
Né en 1856 dans une famille de paysans aisés, Philippe Pétain entre à l'école militaire de Saint-Cyr en 1876 puis devient professeur à l’École de Guerre en 1888 sans participer aux guerres coloniales. C’est au cours de la Première Guerre mondiale que le colonel Pétain, sur le point de prendre sa retraite, est appelé par le commandant en chef des armées françaises Joffre pour défendre la ligne de front à Verdun. Par une bonne stratégie et gestion des troupes, le colonel devenu général mène la France à la victoire après une longue et douloureuse bataille. Olivier Wieviorka, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, souligne l'importance de la bataille de Verdun dans la France d'après-guerre : "Des centaines de milliers d'hommes sont passés par Verdun en raison de la rotation des effectifs, ce qui [en] fait un souvenir commun pour énormément de poilus." L'historien décrit la popularité grandissante du général Pétain qui continue de se développer après guerre.
Honoré de la dignité de maréchal de France le 11 novembre 1918, Philippe Pétain se construit une notoriété sans pareil. Grand militaire, estimé de ses soldats et désigné "sauveur" de la nation, il a la réputation d'être un général républicain. "Pétain a l'image du Cincinnatus, une personne retirée des affaires, désintéressée, généreuse et qui n'est certainement pas un comploteur [...] là où d'autres généraux vont tremper dans des complots d'extrême droite" note Olivier Wieviorka, même s'il est également soutenu par une droite révolutionnaire et conservatrice.
Pétain, figure de l'armistice
Alors que la France est opposée à l'Allemagne nazie dans une "drôle de guerre" depuis septembre 1939, le maréchal Pétain, alors âgé de quatre-vingt-quatre ans, est introduit dans le gouvernement par Paul Reynaud, président du Conseil. Ce dernier, raconte Olivier Wieviorka, a dans l'idée une nomination de façade, pour galvaniser et rassurer la population française. Or, le maréchal Pétain, poussé en sous main par Pierre Laval, incarne le camp de l'armistice, là où Paul Reynaud défendait la poursuite de la guerre. La solution de l'armistice retenue, Paul Reynaud démissionne et Pétain est nommé à la tête du Conseil le 16 juin 1940.
Le 10 juillet 1940, par un vote d’adhésion malgré des attentes contradictoires, les deux Chambres lui accordent les pleins pouvoirs, marquant ainsi la fin de la Troisième République. "Pour les uns, Pétain va réussir à collaborer et à négocier la place de la France dans l'Europe nouvelle", détaille Olivier Wieviorka pour montrer les attentes plurielles qui convergent autour de Pétain. "Pour d'autres, il va résister en sous main et rouler les Allemands." Ou encore "Pétain va être l'homme de la révision constitutionnelle qui va enfin combattre l'instabilité ministérielle alors que pour d'autres il ne sera pas l'homme de la concorde mais [celui] qui va lutter contre le communisme." Philippe Pétain rencontre Adolf Hitler à Montoire et déclare, le 30 octobre 1940, qu'il s'engage dans la voie de la collaboration.
Pétain et Vichy
Après le déplacement du Gouvernement à Tours, Bordeaux, Clermont-Ferrand et Lyon, Vichy devient la nouvelle capitale de l’État français. La ville thermale concentre de nombreux avantages : on y trouve de nombreux hôtels haut-standing pour accueillir les fonctionnaires et ministres mais également le standard téléphonique le plus performant de France.
L'accueil des Vichyssois est d'abord favorable, voyant avec l’arrivée du Gouvernement une protection face aux Allemands mais également des avantages économiques. "Le culte de Pétain s'articulait beaucoup autour de sa personne physique", explique Audrey Mallet, historienne et auteure de Vichy contre Vichy : une capitale sans mémoire (Belin, 2019). "En 1940, 1941, 1942, Pétain a entrepris beaucoup de voyages de séduction dans la zone sud avec l'objectif de mobiliser autour de sa personne. La mise en scène de Pétain à Vichy est permanente et quotidienne. Les Vichyssois ont l'occasion de le croiser le dimanche matin après la relève de la garde, quand il va à l'église Saint Louis, quand il fait des balades avec le docteur Ménétrel. Outre la proximité physique, il y a une proximité affective qui se crée puisque le maréchal Pétain est poli et courtois."
Dès 1941, la population comprend toutefois que l’activité thermale ne pourra reprendre qu’après le départ du Gouvernement ; sa proximité avec le pouvoir ne permet que peu de manœuvres, renforçant alors le choix de l’attentisme et de la passivité. Avec le départ du régime dit de Vichy, la ville se rattache à son histoire thermale, l’histoire d’une ville que Napoléon III nommait alors "la reine des eaux".
Intervenant·e·s
Olivier Wieviorka est professeur à l’École normale supérieure Paris-Saclay, membre de l’Institut Universitaire de France. Historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, il a notamment dirigé les ouvrages Les Grandes erreurs de la Seconde Guerre mondiale (avec Jean Lopez, Perrin, 2020), Histoire militaire de la France en deux tomes (avec Hervé Drevillon, Perrin, 2018), Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale (avec Jean Lopez, Perrin, 2015, réédition en un seul volume en 2020), Vichy 1940-1944 (avec Jean-Pierre Azéma, Perrin, 2004). Il est entre autres l'auteur de Les Orphelins de la République. Destinées des députés et sénateurs français (1940-1945) (Seuil, 2001, réédition en 2015), Histoire de la Résistance (1940-1945) (Perrin, 2013) et Histoire du débarquement en Normandie : des origines à la libération de Paris (1941-1944) (Seuil, 2007).
Audrey Mallet est docteure en histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire et des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie. Elle est responsable du département de Langue et Culture à l’ENSAE (École nationale de la statistique et de l’administration économique) et chercheuse associée au LARHRA-CNRS (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes). Elle a publié Vichy contre Vichy : une capitale sans mémoire (Belin, 2019). Audrey Mallet est à l'initiative du site internet « Vichy 1939-1945 » qui propose une visite guidée du Vichy de la Seconde Guerre mondiale.
Références sonores
- Archive du témoignage de Maurice Leclerc, poilu de quatre-vingt-dix-neuf ans en 1995, au micro de Patrice Gélinet dans L'histoire en direct - France Culture, 6 mars 1995
- Archive de l'allocution du président de la République Albert Lebrun qui rend hommage au Maréchal Pétain à Montfaucon dans la Meuse, de la colonne à la mémoire des soldats américains tombés en 1914-1918 - 1936
- Archive de Simone Weil à propos de ses parents - France 2, 2008
- Musique L'Accordéoniste d'Édith Piaf, 1940
- Lecture d'un extrait de la pièce Antigone de Jean Anouilh, lu par Olivier Martinaud
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