Quand l’Afrique rêve ses civilisations passées : épisode 3/4 du podcast Le goût des civilisations perdues

Masque africain
Masque africain  ©Getty
Masque africain ©Getty
Masque africain ©Getty
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L’imaginaire, individuel et collectif, est parfois le lieu de prédilection des civilisations perdues qui deviennent des civilisations rêvées, et des moyens de se reconnaître et de se construire. Qu'en est-il de l'Afrique ?

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Voici des masques africains, des visages de bois alignés sur l’étale d’un marchand ou disposés avec soin dans la vitrine d’un musée. Voici des visages troublants que le collectionneur expose dans sa demeure. Se trouver face à eux provoque, chez certains, une forme de malaise, et chez d’autre un éblouissement. Dans tous les cas, ils fascinent. Il y a quelques années, deux ethnologues, Brigitte Derlon et Monique Jeudy-Ballini, ont réalisé une étude sur La passion de l’art primitif. Parmi toutes les explications qu’ont données les collectionneurs, il y a celle-ci : ces masques africains ont été chargés de pouvoir et de magie. Devenus œuvre d’art, ils les ont perdus, mais peut-être pas entièrement : ils restent chargés, c’est pour ça qu’ils nous envoûtent. Il en va de même avec les civilisations africaines qui ont disparues : elles sont encore vivantes ! 

Dans la première partie de notre émission nous recevons François-Xavier Fauvelle, historien et archéologue, directeur de recherche au CNRS, professeur au Collège de France, il est notamment l’auteur d’ À la recherche du sauvage idéal, Paris, Le Seuil, 2017.

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Il y a une ethnicisation et une esthétisation de l’art africain. L’art africain fini dans les vitrines de nos musées et s’expose comme des objets privés de sens, dé-sémantisé. C’est pourquoi je milite pour une restitution de l’art africain aux pays d’origine et surtout pour une resémantisation, c’est-à-dire travailler les pays à qui on veut restituer, pour qu’on reconstruise des discours dont ces objets ont été privés en même temps qu’ils ont été transférés. Ce n’est pas tout de rendre, il faut savoir bien rendre. François-Xavier Fauvelle

Le travail de tout historien qui travaille sur l’Afrique c’est de rendre le passé disponible. Ensuite, les citoyens, les sociétés en font ce qu’ils veulent. Pourquoi l’histoire de l’Afrique devrait nous intéresser ? Ce n’est pas simplement parce que c’est intéressant, et ça l’est. Ce n’est pas simplement parce qu’il y a une variété de civilisations, ce n’est pas simplement parce que les chasseurs cueilleurs sont aussi nos contemporains. C’est aussi parce que les sociétés africaines ont emprunté des trajectoires que n’ont pas emprunté d’autres régions du monde ; et en particulier le refus de l’Afrique d’une homogénéisation. Il y a des choix économiques, politiques, qui visent plutôt la cohabitation, la symbiose économique et culturelle, la fabrique d’une très grande diversité qui est contre-intuitive si l’on a en tête que l’histoire de l’Europe qui homogénéise. En Europe il n’y a que des formations politiques centralisées, que des langues indo-européennes etc. Ce refus de l’homogénéisation est un trait absolument remarquable de l’histoire longue de l’Afrique. Il y a là une leçon d’histoire, car l’Afrique a emprunté d’autres formes d’histoire et cela éclaire l’histoire de l’Europe.  François-Xavier Fauvelle

En seconde partie d'émission pour en savoir plus à propos de l'afrocentrisme, nous recevons Sarah Fila-Bakabadio, historienne en études américaines et afro-américaines, maître de conférence à l’Université de Cergy-Pontoise, auteure d’ Africa on my mind : histoire sociale de l'afrocentrisme aux Etats-Unis, paru en 2016 aux éditions Les indes Savantes.

Aux États-Unis les africains étaient mis en esclavage, après ils ont eu la ségrégation à partir de 1896, ils n’ont jamais été totalement chez eux, on leur a rappelé qu’ils étaient là par la volonté de quelqu’un d’autre. Ils voulaient pouvoir être libres sur un territoire et aux Etats Unis ça ne semblait pas possible. Donc quel autre territoire semblait possible ? Le territoire des origines, l’Afrique. Même si c’est un imaginaire qui est construit au fil des siècles puisqu’après cette déchirure de la traite transatlantique, on ne peut que construire à partir de la vie qu’on a sur la plantation, la vie qu’on a dans un quartier ségrégué et la vie qu’on a même aujourd’hui dans un ghetto africain-américain où on imagine cet ailleurs. Mais cet ailleurs c’est un possible, et ce possible donne de l’espoir dans une situation qui est chaotique. Sarah Fila-Bakabadio

Sons diffusés : 

Archives : 

  • Restitution de la “Vénus Hottentote” à l’Afrique du sud par la France, extrait du journal de France 2 du 30 avril 2002
  • Extrait du film La Vénus noire d’Abdellatif Kechich

Musique :James Bond d'Iggy Pop

Générique de l'émission : Origami de Rone

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