Le corps noir étant la cible première de l’oppression raciste, comment le sport noir américain, depuis la fin du XIXe siècle, a-t-il participé aux longues luttes pour la dignité et la justice raciales aux États-Unis ?
- Nicolas Martin-Breteau Maître de conférence en histoire à l'université de Lille
Qu’est-ce que le corps noir ? Voilà un mystère qui peut nous conduire vers la Méthode scientifique, l’émission de Nicolas Martin sur France Culture. Une émission de savoir autour des sciences, toutes les sciences, et sur les problématiques éthiques, politiques, économiques et sociales qui font l'actualité de la recherche. Pour un physicien, le corps noir est un modèle théorique, un objet idéal, qui, par ses propriétés simples, absorbe tout rayonnement reçu à sa surface qui, par conséquent, ne réfléchit et ne diffuse aucun des rayonnements qu’il a reçu. C’est passionnant.
Dans Le Cours de l’histoire, le corps noir dont il est question est politique, au sens où il réfléchit et où il diffuse. Il réfléchit le regard de l’autre et il réfléchit à sa condition ; il diffuse sa volonté d’émancipation, d’égalité et de justice sociale : le corps et le sport sont essentiels dans les luttes des Noirs américains pour la justice !
Pour en parler
- Nicolas Martin-Breteau, maître de conférences en histoire des Etats-Unis à l’Université de Lille, auteur de Traduction, introduction et appareil critique de W.E.B. Du Bois, Les Noirs de Philadelphie (1899) (La Découverte, 2019) et de Corps politiques. Le sport dans les luttes politiques des Noirs américains pour la justice (éditions de l'EHESS).
Extraits de l'émission
Nicolas Martin-Breteau : "Le sport naît, historiquement, dans la société britannique, notamment sur les campus d’universités prestigieuses comme Oxford, Cambridge etc. Donc, le sport est lié dès son origine à une forme d’ethos aristocratique, c’est une activité sociale qui est célébrée pour les classes supérieures. Au fur et à mesure que le siècle avance, le sport se démocratise et devient une activité sociale extrêmement populaire. C’est, entre la fin du XIXe siècle et la fin du XXe siècle, l’une des activités sociales les plus populaires aux États-Unis. Aujourd’hui encore, le sport est particulièrement enthousiasment pour des millions de personnes. Pour les Africains-Américains, le sport est donc une chose intéressante à utiliser au niveau politique, parce que non seulement il peut prouver la dignité du corps noirs, mais également atteindre une visibilité médiatique inédite jusqu’alors. C’est d’ailleurs l’un des objectifs des Noirs Américains : former des athlètes qui pourront, sur la scène médiatique et donc sur la scène politique, prouver l’égalité entre les corps blancs et les corps noirs, à une époque justement où les corps noirs sont considérés comme biologiquement inférieurs."
Nicolas Martin-Breteau : "Ramener la vie sociale noire à des dimensions corporelles est une chose constante dans l’histoire africaine-américaine. C’est une forme de déshumanisation que de dire que les Noirs sont corporellement différents des Blancs, cela permet de fonder en nature leur oppression raciale. Car le discours sur la supériorité supposée des Noirs en sport, permet aussi, inversement, de légitimer le discours sur leur infériorité intellectuelle et donc, de les exclure des postes de décisions, des postes symboliquement, politiquement, économiquement importants dans la société. Par exemple, dans les années 1930 on parle du talon de Jesse Owens, 25 ans plus tard on parlera des chromosomes noirs et puis aujourd’hui on parle des gènes noirs. Mais en réalité, sous des mots différents, ce sont exactement les mêmes processus sociaux qui sont à l’œuvre, ce sont des processus qui légitiment l’oppression sociale."
Sons diffusés :
Lecture par Olivier Martinaud : Extrait de Les Âmes du peuple noir, de William Edward Burghardt Du Bois dit « W. E. B. Du Bois », 1903
Archives :
- Extrait du documentaire réalisé par Ken Burns consacré à la vie du boxeur Jack Johnson, 2005
- Extrait du film La couleur de la victoire, réalisé par Stephen Hopkins, sorti en 2016
- Léon Zitrone commente le levé de poing de Tommie Smith, athlète noir vainqueur au 200m aux J.O. de Mexico en 1968, ORTF, le 20 octobre 1968
- Extrait d' Un héros américain - L’histoire de Colin Kaepernick, réalisé par Annebeth Jacobsen et Jobst Knigge, en 2019, disponible jusqu'au 05/07/2020 sur Arte.TV
Musique : Mohammed Ali chantant Stan bye me, en 1965
Générique de l'émission : Origami, de Rone
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration
- Chronique
- Collaboration
- Réalisation
- Collaboration