Tout nu et tout bronzé, histoire du corps à la plage : épisode 4/4 du podcast Tous à poil ! Histoire de la nudité

Deux femmes en maillot de bain prennent un bain de soleil dans les années 1940.
Deux femmes en maillot de bain prennent un bain de soleil dans les années 1940. ©Getty - H. Armstrong Roberts / Retrofile
Deux femmes en maillot de bain prennent un bain de soleil dans les années 1940. ©Getty - H. Armstrong Roberts / Retrofile
Deux femmes en maillot de bain prennent un bain de soleil dans les années 1940. ©Getty - H. Armstrong Roberts / Retrofile
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De l'Antiquité jusqu'au début du XXe siècle, la peau féminine diaphane tel un lys est le standard de la beauté. Cette tendance s'inverse dans les années 1920 avec l'essor du bronzage. Qu'est-ce qui favorise la mode de la peau brunie et le triomphe d'un corps quasiment dénudé l'été ?

Avec
  • Pascal Ory Historien, spécialiste d’histoire culturelle, membre de l’Académie française

Quelle est la meilleure manière de bien bronzer ? En avril 1870, Le Petit journal des peintres en bâtiments et décors nous apporte des éléments de réponse : avec de la poudre et une bonne couche de vernis gras, le tout appliqué avec une patte de lièvre ou un morceau de velours. Sinon, il est possible d’obtenir un bon bronzage grâce à de l’huile électro-métallique ou du cuivre galvanique.

Le bronzage est l’action de bronzer, c’est-à-dire de rendre un objet dur et résistant comme le bronze, ou alors de recouvrir un objet pour lui donner la couleur de bronze. De bronze à brun, il n’y a qu’un pas, qui conduit à la plage, pour exhiber notre corps dénudé. C’est ainsi que nous brunissons.

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Le bronzage, une marque sociale

La peau, si elle est dénudée, doit être pâle pour être belle. C’est ce canon de beauté qui a dominé en Occident, de l'Antiquité au début du XXe siècle. Des produits éclaircissants dans le monde greco-romain à l’idéal virginal et marial de l’espace chrétien, de l’idéal esthétique de la Renaissance au "teint de lys" préconisé par les ouvrages de beauté du XIXe siècle, le corps dénudé doit l’être dans les règles de l’art.

"Dans les sociétés pré-bronzage, dans l'Occident, de l'Antiquité jusqu'à 1920, il existe une distinction. Dans les élites, on ne doit pas ressembler aux corps des travailleurs. La paysanne ne peut pas éviter les coups de soleil, mais la femme 'pure' des élites, doit au contraire manifester cette distinction en se protégeant", nous dit l'historien Pascal Ory.

Le bronzage, une révolution culturelle

Le XXe siècle vient bouleverser cet état de fait pigmentaire. Sous l’influence conjuguée des grands couturiers des années 1920, et notamment de Jean Patou et Coco Chanel, des grands groupes cosmétiques qui réalisent rapidement l’aubaine qu’est le marché des produits bronzants et des congés payés de 1936, le bronzage devient tendance.

Loin d’être anecdotique, cette nouvelle mode marque une révolution culturelle profonde. La peau brunit en même temps qu’elle se dénude. Les maillots de bains raccourcissent, les coupes sont plus échancrées, et les Trente Glorieuses marquent le triomphe du bikini auprès du grand public.

"Dans les années 1920, on observe, avec le bronzage, une révolution culturelle, qui part des élites, comme une bonne partie des révolutions. Mais si le bronzage réussit à s'imposer, c'est en partie grâce à la révolution politique de la souveraineté populaire qui se situe entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les valeurs politiques et l'économie doivent être orientées en fonction de cette souveraineté populaire. La pratique du bronzage s'enracine dans la société toute entière grâce à une sorte de transaction entre les élites et les catégories populaires", explique Pascal Ory.

"Le changement majeur est celui des congés payés de 1936. Ils concernent tous les travailleurs, qui peuvent prendre l'air pendant deux semaines. En 1935, l'Oréal teste l'huile 'Ambre solaire' qui est peu chère. La question du bronzage ne peut plus apparaître comme un privilège de quelques élites", explique encore Pascal Ory.

À lire aussi : L'invention du bronzage
Les Chemins de la philosophie
58 min

Le dévoilement de la peau accompagne une émancipation féminine sans précédent. La chaleur, la plage et le soleil deviennent de nouveaux moyens de dévoiler son corps, de le modeler, de se l’approprier. Pourtant, cette longue histoire du dévoilement de la peau ne se fait pas sans heurts : des médecins dénoncent les dangers d’une surexposition au soleil ; d'autres contempteurs déplorent les corps brunis, devenus proches de ceux des colonisés. Quant aux milieux puritains et conservateurs, ils agitent l'épouvantail de l’indécence et de la décadence morale de la société. Les corps ont bien du mal à se dévoiler.

Comment la profonde révolution culturelle du bronzage et du dévoilement des corps s’est-elle accomplie ? Comment la société de la consommation et du loisir est-elle parvenue à inventer un corps estival, doué de nouvelles envies et de nouveaux besoins ? Comment le dévoilement de la peau a-t-il accompagné l’émancipation féminine au cours du XXe siècle ?

Pour en parler

Pascal Ory est historien, professeur émérite d’histoire à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d’histoire culturelle et membre de l’Académie française.

Il a notamment publié :

Sons diffusés dans l'émission

  • Extrait du film Jean de Florette réalisé par Claude Berri en 1986
  • Archive sur l'essai nucléaire sur l'atoll de Bikini dans le Journal des Actualités françaises le 30 mai 1956
  • Archive sur les congés payés dans Ciné-Archives du Parti Communiste Français
  • Archive sur la fête de l'eau et concours de maillots à la piscine Molitor dans le Journal des Actualités françaises le 11 juillet 1946
  • Archive sur le bronzage topless diffusée par l'ORTF le 27 août 1970
  • Montage des chansons de l'été : Tout nu, tout bronzé par Carlos (1984) ; Itsi bitsi petit bikini par Dalida (1960) ; Il est mort le soleil par Nicoletta (1967) ; Le Coup de soleil par Richard Cocciante (1980)

Générique de l'émission : Origami de Rone

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