Lorsque la révolution russe éclate en 1917, les nationalistes ukrainiens créent la Rada, assemblée indépendante et souveraine. Pendant quatre ans, la "République populaire ukrainienne" est en proie à une guerre civile où s'affrontent Rouges, Blancs, paysans insurgés et nationalistes.
- Thomas Chopard Doctorant Les violences exercées au cours du processus révolutionnaire et de la guerre civile en Ukraine (1918-1922), thèse à l'EHESS sous la direction d'Alain Blum.
- Sophie Coeuré Professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris Diderot Paris 7
Le 13 avril 1917, le quotidien La Dépêche consacre un article à la Russie nouvelle avec ce titre : "Le peuple libéré cherche sa voie". Quelques semaines plus tôt, une révolution a éclaté en février et le tsar a été renversé : "Les représentants de tous les partis de la Russie blanche, réunis à Minsk, ont voté une mention où ils déclarent leur confiance dans le gouvernement provisoire et demandent l’autonomie intérieure des provinces de la Russie blanche". Le journal précise que "le congrès des délégués de l’Ukraine a émis des vœux identiques". L’indépendance de l’Ukraine, très vite confisquée, est marquée par une terrible guerre civile.
Une indépendance troublée
"Je me rappelle que d’abord le sifflement des obus, les explosions et le crépitement des balles ne m’impressionnaient guère. Au contraire, j’observais tout ce qui se passait avec un certain intérêt, ne comprenant pas la signification de tous ces sons. Et puis, soudainement, je me souviens qu’au troisième jour de siège tout s’est mélangé, j’ai brusquement compris que la balle tue, et mon insouciance s’est transformée en horreur. (...) L’explosion qui m’a tant effrayé avait été causée par un obus qui avait atterri dans le mur de notre maison, pas loin de la fenêtre. (...) Tout Kiev offrait un semblable spectacle", raconte un jeune adolescent ukrainien. La scène qu’il décrit, si elle peut sûrement correspondre à l’actualité, s’est pourtant produite en 1918.
L’Ukraine est alors une toute jeune République. Autrefois rattachée à l’Empire russe, la région a conquis son indépendance en 1917, dans la foulée de la révolution russe : les nationalistes ukrainiens proclament alors l’assemblée ukrainienne, la Rada, indépendante et souveraine.
"[La] revendication d'autonomie est le grand slogan de février-mars 1917 pour les Ukrainiens : autonomie politique, linguistique, économique, avec des contours encore assez flous, mais qui pose, dès le début de l'année 1917, l'Ukraine comme une forme d'espace politique évident pour la plupart de ses acteurs", explique l'historien Thomas Chopard.
Une terrible guerre civile
Pour l’Ukraine, les troubles ne font que commencer : Rouges, Blancs, Verts et nationalistes vont, durant quatre ans, se livrer une terrible guerre civile pour tenter de contrôler Kiev et instaurer leur projet politique.
"La guerre civile est essentiellement une guerre pour le contrôle des populations, plus qu'une guerre de champs de bataille. Le contrôle des populations passe par des violences de masse assez inimaginables à l'époque, qui constituent une catastrophe pour les populations civiles", constate Thomas Chopard.
Comment cette première indépendance a-t-elle modelé pour longtemps le destin du pays et de la région toute entière ? Pourquoi cette période et sa mémoire sont-elles cruciales pour comprendre le conflit contemporain entre l’Ukraine et la Russie ?
"En réfléchissant à cette histoire complexe, fracturée et violente, on peut voir les moments où les Ukrainiens et les Ukrainiennes de toutes origines se sont emparés de leur histoire et ont essayé de la construire de l'intérieur (de manière très réprimée à partir des années 1930, puis de nouveau un peu plus libres après la mort de Staline), mais aussi de l'extérieur [avec] la dynamique des immigrations ukrainiennes successives", souligne l'historienne Sophie Coeuré.
Nos invité·e·s
Thomas Chopard est historien, chercheur au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) de l'Inalco et directeur adjoint du Centre d'études franco-russe. Il a publié Le Martyre de Kiev. 1919. L’Ukraine en révolution entre terreur soviétique, nationalisme et antisémitisme (Vendémiaire, 2015).
Sophie Coeuré est historienne, professeure des universités en histoire contemporaine à l’Université Paris Cité, chercheuse associée au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CNRS-EHESS). Elle signe la préface de Retour de l'URSS d'André Gide, réédité aux éditions Payot en janvier 2022. Elle a notamment publié :
- La Grande lueur à l’Est. Les Français et l’Union soviétique, 1917-1939 (Seuil 1999, réédition CNRS Éditions 2017)
- La Mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, de 1940 à nos jours (Payot 2007, 2013)
- Cousu de fil rouge. Voyages des intellectuels français en Union soviétique (avec Rachel Mazuy, CNRS Éditions, 2012)
- Pierre Pascal, la Russie entre christianisme et communisme (Noir sur Blanc 2014)
- L’Autre siècle (uchronie dirigée par Xavier Delacroix, Fayard, 2018)
Sons diffusés dans l'émission
- Extrait du film Raspoutine de José Dayan avec Gérard Depardieu, 2011
- Archive du poète Georges Adamovitch qui livre son témoignage sur la révolution russe en janvier 1965
- Archive de l'homme politique Alexandre Kerenski au sujet de l'Empire russe lors du conflit mondial de 1914-1918
- Yvette Giraud chante Ukraine en 1946
- Piotr Rawicz évoque La Garde blanche de Mikhaïl Boulgakov au micro d'Arlette Farge dans l'émission Les Voix étrangère sur France Culture le 20 décembre 1970
- Lecture par Pierre-Marie Baudoin d'un extrait de La Ville de Kiev de Mikhaïl Boulgakov, paru dans ses Œuvres complètes aux éditions Gallimard
- Lecture par Pierre-Marie Baudoin d'un extrait de la revue française Les Annales, n°1877, parue le 15 juin 1919
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