

En plein sommet européen, c’est la fin demain du huitième et dernier cycle de négociation commerciales post-Brexit : moins de 15 jours pour trouver un accord, sinon ce sera le "No Deal", dit Boris Johnson. Le politique bloque-t-il l’accord économique ?
L'économie sacrifiée à la tactique politique ? C’est ce que beaucoup disent tant les négociations ressemblent à une guerre de tranchées ces dernières semaines : à cause de la persistance de plusieurs points de blocage (aides publiques ou pêche) au seuil de la date fatidique ; et surtout à cause de la nouvelle « Loi sur le marché intérieur » : cet Internal Market Bill torpille l’accord de Brexit (Irlande du Nord), et que Boris Johnson a justifié par la « menace » d’un « blocus » économique européen sur le Royaume-Uni.
« Stratégie du fou », ou « bluff », analysent les connaisseurs : pour les uns, le Premier Ministre britannique brandit le No Deal comme un levier de négociation face à l’UE, pour les autres c’est un nouveau gage politique donné aux ultra-Brexiters.
Vives critiques britanniques
Tour à tour dans la presse, cinq anciens chefs de gouvernement s’indignent de la perte de crédibilité internationale du Royaume, alors que Johnson brisait les tables de la Rule of Law : « But contre son camp », lâche Gordon Brown, ce qui revient en Grande-Bretagne à l'accuser de crime de lèse-majesté.
Ces derniers jours ont également fait ressurgir le débat sur les coûts du Brexit : plusieurs économistes britanniques ont estimé la perte de croissance de presque 6 à 8 % sur 15 ans : 3 fois plus que la Covid.
Si Boris Johnson veut remettre comme il l’a déjà dit « un peu de punch » dans les négociations, le bénéfice est moins clair que la sanction.
Un No Deal convoité pour des raisons de stratégie économique ?
On dit souvent que le Royaume-Uni a le plus à perdre parce que 47 % de ses exportations se font vers l’Europe, contre 8 % seulement pour l’UE ; mais on compare un pays à un sous-continent ;
Et puis, explique dans Le Monde Stéphane Madaule, même s’il s’agit d’une stratégie pour obtenir plus des européens, il ne s’agit plus d’une négociation entre partenaires économiques mais entre concurrents : pour Londres désormais, la compétitivité prime sur l’échange ; d’autant plus ajoute-t-il, l’impact social ou économique du No Deal pourra être dissimulé par celui de la crise liée au Covid.
Concurrents, c’est d’ailleurs la vision libre-échangiste historique des Conservateurs, affirmée en 1988 par Margareth Thatcher :
« Nous n’avons pas repoussé avec succès les frontières de l’Etat en Grande-Bretagne, pour nous les voir ensuite réimposer au niveau européen, par un super-Etat qui dirigerait depuis Bruxelles ! »
Cette vision souverainiste se perpétue, elle a même sa bible coécrite par plusieurs Conservateurs de la branche « thatchérienne » pro-entreprises en 2012 : Britannia Unchained.
Cette vision exclut toute solution Norvégienne (hors UE mais dans le marché unique), ou compromis "à la Theresa May", affirme Jill Rutter du King’s College de Londres. C’est la raison pour laquelle, à défaut d’obtenir le « meilleur des deux mondes » comme le dit Michel Barnier, Boris Johnson a la volonté d’aller jusqu’au No Deal.
Le Brexit : un « outil » pour la relance ?
C’est ce que soutient Jill Rutter : transformer la Grande-Bretagne en « Singapour sur Tamise » peut-être… Cependant pas comme un paradis fiscal mais pour devenir « l’Etat entrepreneur » de l’économiste Mariana Mazucatto, à la fois investisseur mais pas bureaucrate : « raison pour laquelle il refuse d’avoir les mains liées en matière d’aides publiques », et donc les règles du marché européen…
Dans le Monde toujours, le chercheur belge Philipp Van Parijs met en garde. Depuis 2019, Boris Johnson pratique déjà un dumping fiscal et un Brain Drain intensifs sur l’UE, « un gain net de plus d’un demi million de cerveaux » : manœuvre qui risque de « saboter le projet européen », cette intégrité du marché que défend Michel Barnier.
Si l’Europe ne bouge pas, le Royaume-Uni peut-il faire des concessions ?
Le calendrier est serré car l’ultimatum est fixé par BJ au 15 octobre, et l’UE a jusqu’au Sommet du 17 pour valider l’accord ; mais en 2019 déjà, tout s’était joué à la dernière minute et les diplomates européens évoquent dans la presse des négociations en « sous-marin », qui pourraient durer la semaine prochaine.
Ensuite les britanniques multiplient depuis cette année les accords de libre-échange : 5 déjà, dont un négocié en 3 mois avec le Japon, une dizaine en pourparlers, dont celui avec les Etats-Unis. Londres, qui vise 22 accords pour couvrir 80 % de ses échanges actuels, pourrait vouloir conclure avec l’Europe.
L’accord hier sur la pêche avec la Norvège est peut-être un message : 1er accord de pêche en 40 ans souligne Londres - et justement un des principaux points de blocage avec l’UE : à la différence du système européen, les quotas et l’accès mutuel aux zones de pêche seront renégociés chaque année… Le même jour d’ailleurs, Londres a fait un pas en proposant à Bruxelles une période de transition de 3 ans pour trouver une régulation…
Ce huitième round de négociations aboutira-t-il à un accord ? Le poète ne dit-il pas qu’« à la septième fois, les murailles tombèrent »? Mardi The Economist a prévenu : « les français seront les négociateurs les plus coriaces » : voilà qui met du baume au cœur.
XM
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