Climat : la BCE doit-elle se mettre au vert ?

Action du groupe écologiste Koala Kollektiv devant la BCE à Francfort le 21 octobre dernier. 63 % des 242 milliards d'euros d'actifs privés détenus par la Banque Centrale seraient "intenses" en émission de gaz à effet de serre.
Action du groupe écologiste Koala Kollektiv devant la BCE à Francfort le 21 octobre dernier. 63 % des 242 milliards d'euros d'actifs privés détenus par la Banque Centrale seraient "intenses" en émission de gaz à effet de serre. ©AFP - STR
Action du groupe écologiste Koala Kollektiv devant la BCE à Francfort le 21 octobre dernier. 63 % des 242 milliards d'euros d'actifs privés détenus par la Banque Centrale seraient "intenses" en émission de gaz à effet de serre. ©AFP - STR
Action du groupe écologiste Koala Kollektiv devant la BCE à Francfort le 21 octobre dernier. 63 % des 242 milliards d'euros d'actifs privés détenus par la Banque Centrale seraient "intenses" en émission de gaz à effet de serre. ©AFP - STR
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Il y a presque un an, Christine Lagarde prenait la tête de la Banque Centrale Européenne et appelait à ne pas rester « assis à ne rien faire » face au changement climatique. Désormais, c’est l’institution qui est appelée à verdir en urgence sa politique.

Le climat sera pour la première fois au programme de la grande revue stratégique de la BCE cette année et depuis quelques mois certains économistes, Think Tanks et ONG font feu de tout bois pour pousser l’institution à décarboner sa politique et à s’aligner sur les nouveaux objectifs européens de neutralité carbone en 2050. « Hésitations »,  « neutralité fallacieuse », ou – insulte pour un banquier central – « biais de marché » : le ton est parfois offensif. 

C’est le moment de secouer « l’arbre à argent magique », affirme dans The Conversation l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran : ces immenses réserves de 3800 milliards d'euros d’actifs issus des différents programmes de rachat de dette d’Etat, entreprises ou banques depuis 2015 ; et qui sont aussi de puissants soutiens aux émissions de GES :  

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Selon une étude de la New Economics Foundation & Greenpeace, 63 % des 242 milliards d'euros d’actifs privés détenus par la BCE en juillet étaient « intenses » en émissions, alors qu’ils ne représentent que 10 % des emplois et 20 % de l’activité en Europe ; selon CPR Asset Management, 27 % des obligations de l’Union Européenne proviendrait des « utilities », infrastructures et transports ; et si seuls les actifs privés sont connus, c’est justement par manque de transparence : « Sale secret » de la BCE, déplore une autre ONG Reclaim Finance qui, non contente de secouer l’arbre à argent magique, veut aussi tirer les oreilles des banquiers centraux… 

La BCE déjà dans la voie du verdissement

Christine Lagarde en a fait un des ses thèmes récurrents : devant le Conseil des Gouverneurs, le Parlement Européen et même lors d’une rencontre inédite avec la société civile en octobre dernier – la première en 22 ans d’existence note Eric Albert du Monde, dans laquelle elle défendait un rôle climatique accru de la BCE – sans toutefois jamais trop s’engager.  

L’événement est venu d’un entretien au Financial Times à l’été, où la présidente affirmait qu’elle soutiendrait la transition climatique par « toutes les voies disponibles », suggérant que la BCE pourrait effectivement choisir d’orienter les rachats de titre en fonction de leur impact climatique : le grand verdissement que réclament les ONG. 

Un pas a déjà été fait en ce sens puisque 1/3 du plan de relance, soit 225 milliards d'euro,s doivent aussi être des investissements verts –les "Green Bonds", prototype d’un éventuel dispositif plus large, qui obligerait aussi les entreprises à publier leurs données climatiques : « révolution », soulignait Les Echos. 

Le long chemin caillouteux du « policy-mix vert » 

C’est l’expression de Jézabel Couppey-Soubeyran et c’est le scénario de politique climatique le plus radical envisagé pour la BCE : qu’elle aligne sa politique monétaire avec la politique budgétaire des Etats et une réglementation contraignante sur les titres qu’elle achète. En d'autres termes : rien d’autre qu’une « monétisation des dépenses publiques nécessaires à la transition écologique ».  

En juillet dernier, une des membres les plus influentes de la BCE Isabel Schnabel avait elle-même évoqué une «prise en compte de l’impact climatique dans les politiques monétaires », des propos forts pour une banquière centrale ; mais c’est un vrai nid à discorde politique et les Etats ont la main explique Le Monde : d’une part  il faudra convaincre les 25 banquiers centraux,  d'autre part les futures obligations vertes de la BCE devront reposer sur une « taxonomie verte » - une classification des 70 activités représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre – ce projet relancé par la Commission en novembre a déjà vu la France et l’Allemagne s’accrocher sur la place du nucléaire.  

Enfin, par-dessus le marché – littéralement, il faudrait trancher la question du rôle de la BCE défini par les traités : s’en tenir aux « objectifs primaires » de stabilité monétaire et financière, ou inclure l’ « objectif secondaire » de neutralité carbone ? Pour le gouverneur de la Bundesbank Jens Weidman, inclure la transition climatique dans les mandats des banques centrales serait le risque « d’être traînées dans la politique et de faire face à une liste sans cesse plus longue de nouveaux désirs et d’objectifs. Tôt ou tard, leur indépendance sera remise en question, et à juste titre. » 

Neutralité de marché, ou neutralité carbone : la BCE peut-elle se mettre au vert sans virer au rouge ?  

Cette « neutralité de marché » - symbole de l’indépendance des Banques centrales – est l’enjeu d’un débat féroce : intangible soutient Agnès Bénassy Quéré, au contraire déjà amoindrie par les politiques d’achat de dettes répond Jézabel Couppey-Soubeyran, voire "fallacieuse" écrivent dans Libération l’économiste Dominique Plihon et le politiste Ahmadou Ndiaye : car en favorisant de fait les entreprises à gros capital très émettrices, la BCE et les autres institutions censées garantir la stabilité des marchés, provoquent au contraire des « déséquilibres » et des « biais de marché ». 

Toutes proportions gardées, les Banques Centrales sont face aux actifs carbonés, comme les plateformes face à leurs usagers remuants, elles doivent décider où placer leur responsabilité : et qu’elles interviennent déjà ou non, elles jouent leur crédibilité. C’est la théorie de « la tragédie des horizons », exposée en 2015 dans un célèbre discours à Londres par l’ancien président de la Bank of England, Mark Carney, pionnier de la monnaie verte.  

Comme il se doit dans une tragédie, Christine Lagarde lors du premier conseil des gouverneurs portait à sa veste une broche en chouette d’Athéna : ni un « faucon », ni « une colombe », mais la déesse de la sagesse et de la guerre .

XM