Le 21 juillet, les Etats membres de l'UE trouvaient un accord sur une relance à 750 milliards d’euros et pour une mesure inédite : la création d’une dette commune. Certains évoquent un « moment Hamiltonien », par analogie avec l'unification américaine des années 1790 : vue euphorique ou réalité ?
Si les bons accords ressemblent à un saumon fumé en raison de la saveur toujours âpre des négociations, le plan de relance européen arraché au bout de quatre jours est assurément excellent ; en particulier ce résultat sans précédent : une dette européenne, empruntée par la Commission au nom des 27 Etats membres.
Les autorités françaises ont évoqué un « jour historique ». Le tout est de savoir quel sens lui donner.
Les références à l’Histoire avec sa Grande Hache ne manquent pas : que ce soit le « plan Marshall » salué par Pedro Sanchez, ou ce fameux « moment Hamiltonien » avec un grand H - comprenez : un moment fondateur, les bases d’un fédéralisme européen.
La négociation financière la plus célèbre au monde
Ces réflexions renvoient à Alexander Hamilton, qui a été le premier Secrétaire au Trésor des Etats-Unis et un acteur clef de l’unification des 13 nouveaux Etats après l’indépendance.
Même s’il n’a pas directement rédigé la constitution, c’est Hamilton qui leur a imposé une dette fédéralisée commune, et les a peut-être sauvés de la faillite et de l’implosion. D’où le « moment Hamiltonien », lors d’un dîner avec ses adversaires en juin 1790, qui a entraîné une révolution dans la révolution.
Voici ce qu’il aurait dit lors d’un dîner à Thomas Jefferson, selon la minisérie de HBO consacrée aux « Père Fondateurs » :
« La prospérité d’une nation dépend en premier lieu du commerce, qui dépend entre autres de la volonté d’autres nations à nous prêter de l’argent. La première étape est de créer une dette nationale. Plus grande sera la dette, plus large sera le crédit. C’est pourquoi je vous recommande en tant que Président du Congrès, d’endosser toutes les dettes prises par les autres Etats, à travers la création d’une banque nationale. Si c’est l’Etat fédéral qui garantit l’emprunt, les autres seront plus enclins à nous prêter ; et plus grande sera la responsabilité du gouvernement, plus grande sera son autorité. »
La dette, ou comment résoudre un problème politique insoluble avec un système économique : c’est ce qui vaut à Alexander Hamilton d’être considéré aux Etats-Unis comme « Père fondateur » au même titre que Jefferson ou Washington… Et à son biopic de triompher actuellement dans une comédie musicale Hip Hop à Broadway, Alexander Hamilton.
En Europe, certains commentateurs avaient déjà senti dans le premier accord Merkel-Macron pour une dette commune le 18 mai, ce parfum de « Dinner Table Compromise », le dîner discret, où se produisit l’historique avancée.
L’analogie avec les Etats-Unis de 1790 tient-elle vraiment ?
Il y a des similarités : L’importance de la dette, celle de la guerre d’indépendance pr les Etats américains (40 % du RNB), celle de la relance à venir pour les Européens.
Sur le plan politique : il s’agit de deux entités supranationales en construction, avec des différents étonnamment semblables, détaillait cet été le magazine Forbes : « les Virginiens étaient prudents et méticuleux, ils avaient déjà payé leur dette et répugnaient à endosser la responsabilité pour l’incurie d’autres Etats, comme le Massachussets »…
On pourrait changer les noms Virginiens par « Allemands » et Massachussets par « Italie », l’histoire paraîtrait semblable. Par effet de miroir, on se prendrait à croire que l’intégration financière fera l’Europe fédérale.
Au-delà du "moment hamiltonien" ?
Hamilton parlait de la dette comme d’une « bénédiction pour la nation ». Mais à l’échelle des nations, l’Etat de grâce sera relativement court pour l’UE, les remboursements courront sur 30 ans à partir de 2028 et un seul emprunt est prévu.
Ceci n’empêche pas les futurs « Eurobonds » de susciter des scénarios optimistes : consolidation de la zone euro, du rôle de la BCE, voire concurrence avec les Bons du Trésor américain…
Mais ce qu’il faudra observer, c’est l’effet d’engrenage, technique et politique ; en particulier la fiscalité européenne que voudrait instaurer la Commission (taxe plastique, carbone ou numérique) et qui doit aider à rembourser les dettes. Cette étape sera encore un nouveau Rubicond à franchir.
Il en va donc un peu de la dette et du fédéralisme comme de l’œuf avec la poule : difficile de prédire ce qui sortira à terme de ce moment Hamiltonien. Prudents, les révolutionnaires américains avaient pris soin d’inscrire sur leurs premiers billets de trois dollars des années 1770 : exitus in dubio est, l’issue est incertaine.
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