Féminisation : les hautes sphères ou le plafond de verre ?

L'arrivée de Delphine d'Amarzit comme PDG d'Euronext Paris en mars, au moment de la nouvelle loi est considérée comme un symbole. Elles ne sont cependant que deux à diriger les plus grandes entreprises cotées à la bourse de Paris.
L'arrivée de Delphine d'Amarzit comme PDG d'Euronext Paris en mars, au moment de la nouvelle loi est considérée comme un symbole. Elles ne sont cependant que deux à diriger les plus grandes entreprises cotées à la bourse de Paris. ©AFP - Thomas Coex
L'arrivée de Delphine d'Amarzit comme PDG d'Euronext Paris en mars, au moment de la nouvelle loi est considérée comme un symbole. Elles ne sont cependant que deux à diriger les plus grandes entreprises cotées à la bourse de Paris. ©AFP - Thomas Coex
L'arrivée de Delphine d'Amarzit comme PDG d'Euronext Paris en mars, au moment de la nouvelle loi est considérée comme un symbole. Elles ne sont cependant que deux à diriger les plus grandes entreprises cotées à la bourse de Paris. ©AFP - Thomas Coex
Publicité

DIx ans aujourd’hui pour la Loi Copé-Zimmermann qui instaure des quotas de femmes dans les Conseils d’Administration. Le gouvernement veut désormais un nouveau texte plus contraignant, étendu aux Comités de direction : où sont les failles du plafond de verre ?

C’est sur le sommet des grandes entreprises que les autorités mettent tout leur poids : Ministre de l’économie, du Travail, de l’Egalité des sexes, et Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, plaident ensemble pour cette nouvelle loi à la mi mars : de même que la Loi Copé-Zimmermann il y a 10 ans pour les Conseil d’Administration, ce texte imposerait aussi un quota minimal de 40 % de femmes, cette fois dans les Comités de direction et les Comités exécutifs des grandes entreprises.  

Cette loi n’est en fait que le report d’un an d’un projet déjà annoncé et suspendu par la crise sanitaire ; mais en un an, la situation est devenue plus critique : même avec un taux de féminisation de près de 45 % dans les conseils d’administration, l’effet d’entraînement escompté sur le marché du travail tarde et la « situation ne s'améliore pas assez vite, ni sur l'égalité salariale, ni sur des postes de direction » déclarait Bruno Le Maire la semaine dernière.  

Publicité

Ensuite, la crise touche plus fortement les femmes que les hommes et a retardé la féminisation, notait déjà Europe 1 en novembre : services RH à l’arrêt, recrutements gelés, formations et audits annulés… « On a bien 6 mois dans la vue » dit une responsable RH, quand un autre explique que « dans les entreprises, c'est marche ou crève. L'égalité professionnelle, ce n'est plus la priorité ». 

Loi Copé-Zimmermann : un bilan "en costume gris" ?

Le rééquilibrage s’est bien produit au vu de certains faits symboliques : pour les entreprises du CAC 40, la féminisation des conseils d'administration a progressé en 10 ans de 20 % à près de 45 %, le plus fort taux au monde après l’Islande, et la Bourse de Paris gérée par Euronext aura bientôt sa première Directrice générale (Delphine d’Amarzit) justement le 15 mars, au moment de la nouvelle Loi.  

Cependant depuis 2018 la courbe s’aplatit, une seule femme dirige une entreprise du CAC 40 et, souligne le Monde en reprenant une étude de 2019, la répartition des tâches au sein des conseils d'administration reste très « genrée » : les femmes sont «minoritaires au sein et à la tête des comités stratégiques, des comités d’audit et de ceux dédiés à la nomination-rémunération des dirigeants », beaucoup plus présentes dans les comités RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises). Pour la Ministre Elisabeth Moreno, le CAC 40 n’est encore qu’un « club de mecs en costumes gris ».  

Résistance des entreprises ?  

Publié hier, le rapport du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes est sévère pour les entreprises qui n’agissent que sous la contrainte : l’absence d’un rapport annuel de suivi fait dégringoler le taux de féminisation des conseils d'administration à 34 % et 24 % respectivement dans les entreprises cotées et non cotées, et à moins de 20 % pour celles qui n’ont pas d’obligation (moins de 250 salariés) : c'est le même niveau qu’il y a 10 ans. La seule sanction prévue, la suspension des jetons de présence n’a pas fonctionné : « Pas de quota, pas de résultat » conclut le HCE.  

En outre, même avec des quotas, « la parité s’arrête aux portes du pouvoir ». En dehors des CA ou des groupes qui affichent leurs têtes féminisées comme Sodexo, Engie ou Michelin dit Le Monde certains maintiennent en leur sein la division sexiste des prérogatives : chez L’Oréal, 79 % du chiffre d’affaire est tenu par des hommes. La féminisation semble cosmétique.    

Cibler les Comités de direction pour ouvrir les portes du pouvoir ? 

Alors que les conseils d'administration sont des instances de surveillance, les comités exécutifs et de direction ("Comex" et "Codir") sont le « lieu du pouvoir par excellence », écrit Laurence Boisseau des Echos, là où sont prises les décisions stratégiques. Or les femmes n’y sont que 17 % et les freins restent nombreux : méfiance culturelle envers une affirmative action à la française, réticence du patronat face à des obligations légales et une restriction du vivier de recrutement, manque de donnée sur les entreprises de 250-500 salariés, ou encore écarts de salaire et promotion dès le premier enfant qui bloque la carrière des femmes.  

Comme la précédente, la nouvelle loi prévoit d’imposer progressivement dans ces instances 40 % de femmes, mais plus rapidement (en 6 ans), avec un suivi renforcé et une possibilité d’y conditionner les aides publiques. Une partie du Medef préférerait un engagement sans obligation, mais hier dans Le Monde, sept grands patrons plaidaient pour une loi et appelaient à « cesser de chercher des excuses ».  

A qui profite la parité à la tête des entreprises ? 

En dehors de l’image de marque, les études fines manquent mais pour les deux spécialistes de la gouvernance Eustache Ebondo Wa Mandzila et Walid Ben Amar dans The Conversation, des méta-analyses (études sur des études) aux Etats-Unis et Europe montrent non seulement une corrélation positive entre féminisation, chiffre d’affaire et nombre de clients, mais aussi un gain pour l'économie générale, avec un surplus de PIB de 3 à 20 % dans les pays Scandinaves ces 50 dernières années. 

La féminisation profite aussi à deux acteurs plus inattendus : elle renforce la crédibilité et les performances et le rôle des cabinets d’audit, d’après plusieurs études européennes, les audits de femmes contiennent moins de manipulations comptables, plus de précision, plus de prudence envers les entreprises en difficulté ; ensuite, dit le chercheur Michel Ferrary dans The Conversation également, la loi de 2011 a ouvert le recrutement des instances dirigeantes et renforcé leur diversité culturelle, faisant baisser la part de diplômés des très grandes écoles (ENA, ENS Ulm, HEC, X) et donnant aux plus féminisées  un avantage sur les autres, comme HEC sur Polytechnique : à défaut de faire voler en éclat le plafond de verre, dit Michel Ferrary, les administratrices ont déjà donné un coup de pied dans la fourmilière bourdieusienne de la « noblesse d’Etat ».

XM

L'équipe