Le temps de l'indépendance agricole est-il passé ?

Tomates bio, tomates hors-sol, tomates labellisées "bonnes pratiques" (ici en Bretagne) ou tomates importées moins chères ? Pour chacune, les règles de production sont différentes, alors que 40 % des fruits consommés en France sont importés.
Tomates bio, tomates hors-sol, tomates labellisées "bonnes pratiques" (ici en Bretagne) ou tomates importées moins chères ? Pour chacune, les règles de production sont différentes, alors que 40 % des fruits consommés en France sont importés. ©AFP - Fred Tanneau
Tomates bio, tomates hors-sol, tomates labellisées "bonnes pratiques" (ici en Bretagne) ou tomates importées moins chères ? Pour chacune, les règles de production sont différentes, alors que 40 % des fruits consommés en France sont importés. ©AFP - Fred Tanneau
Tomates bio, tomates hors-sol, tomates labellisées "bonnes pratiques" (ici en Bretagne) ou tomates importées moins chères ? Pour chacune, les règles de production sont différentes, alors que 40 % des fruits consommés en France sont importés. ©AFP - Fred Tanneau
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Un « grand rendez-vous de la souveraineté alimentaire » hier entre la profession et l’exécutif. Face à un lent déclassement international, ils veulent « reprendre le contrôle » : le temps de l’indépendance agricole est-il passé ?

« Une prise de conscience » et « un sursaut » : c’est ce que veulent obtenir les organisations agricoles inquiètes devant l’érosion des parts de marché à l’exportation : la 1ère production européenne est passée en 20 ans du deuxième au sixième rang des exportateurs mondiaux, souligne Géraldine Woessner dans Le Point, dépassée même par les exportations allemandes et néerlandaises : véritable destitution « pour un pays qui fut le fleuron de l’Europe agricole ». 

Résultat : les surfaces cultivées fondent et adieu, veaux, vaches, cochons, mais aussi volailles, pommes ou tomates de nos terroirs répète depuis quelques jours la présidente de la FNSEA Christiane Lambert. Selon la profession, plus de 40 % des légumes, 60 % des fruits et la moitié des volailles consommés sont importés : « double dépendance », dit la FNSEA avec le Ministre de l'Agriculture Julien de Normandie, puisque l’agriculture française est exposée à tous les dumping sans pouvoir répliquer : le syndicat vient de décréter « la souveraineté en danger ». 

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« Rebâtir l’indépendance agricole française », premiers mots de l’allocution présidentielle du 12 mars 2020

L'année dernière, le président de la République avait aussi annoncé vouloir « reprendre la main » sur la souveraineté alimentaire avec des « décisions de rupture ». 

Car les chiffres de 2019 n’étaient déjà pas bons, avec un excédent commercial divisé par deux en 10 ans souligne La Croix, et même pour la première fois, un déficit de 84 M € en 2019 affirme Le Point : une « gifle » pour le secteur et les autorités, la Cour des Comptes et le Sénat avait alerté – ce dernier prévoyant une balance commerciale agricole négative à partir de 2023. 

60 % du bœuf vendu est déjà d’origine étrangère, et hier Emmanuel Macron déclamait une véritable ode à la viande et à « l’art » de la boucherie, exhortant les industriels à renoncer à faire « du haché du haché du haché » et les consommateurs à « défendre la viande française partout !», y compris au restaurant – à votre fourchette… 

Le modèle agricole "haut de gamme" en cause ?

La FNSEA se plaint des charges et des normes, d’autres évoquent la concurrence des céréales de la Mer Noire et des fruits et viandes de l’EU Est ;  

Mais l’agriculture paie aussi une erreur stratégique, disent plusieurs analystes : le choix du « haut de gamme » - à coup de labels et de normes – face à la baisse des coûts et l’intensification de la concurrence ; choix politique, suggère Géraldine Woessner du Point, sévère à l'égard de cette stratégie du « petit » et du « local », avec des produits « destinés par définition à des minorités, en méprisant la consommation de masse ». 

Le spécialiste agriculture et directeur du Club Déméter Sébastien Abis compare la situation à la désindustrialisation textile : « On a cru que tout le monde allait s'habiller en Chanel et on a fermé nos usines pour ne garder que la haute couture. »

Protéger la « souveraineté alimentaire » : un combat européen ? 

La France compte défendre la compétitivité agricole française au niveau européen lors de la présidence française du Conseil en 2022 : en revenant sur l’interdiction par l’Union de mentionner l’origine pr les marchés publics en restauration collective – écoles, prisons et hôpitaux étant de gros consommateurs de viande importée précise dans La Croix l’économiste à l’Inrae Vincent Chatellier ; 

Mais surtout, Paris voudrait limiter le dumping lié à des contraintes phytosanitaires moindres chez certains concurrents, « deuxième dépendance encore plus dangereuse » dit Julien de Normandie justifiant ainsi les dérogations sur les néonicotinoïdes pour sauver la betterave à sucre l’année dernière. 

L'idée serait d'introduire des « clauses miroirs » dans les accords commerciaux : mêmes produits, mêmes normes, même si juridiquement, le « chemin » est encore à l’étude dit l’Eurodéputé Pascal Canfin. 

Revoir la stratégie agricole française ? 

Pour contrer la tendance au haut de gamme, Vincent Chatellier de l’Inrae appelle à « produire plusieurs segments de prix, pas seulement le haut du panier » ; mais il estime aussi « fondamental » de distinguer plus finement les filières : « Ce n’est pas grave si certains secteurs sont dépendants des importations. Ce qui peut poser question, c’est par exemple la dépendance en soja ou aux légumes. »

Diversification également en jeu dans la bataille des modèles : le « bio » qui reste cher et à 5 % du marché seulement et l’ « agriculture raisonnée », la serre et quelques pesticides choisis : dans Le Point l’écrivain et ancien maraîcher Jean-Paul Pelras se livre à une belle défense de la tomate hors sol qui pourrait satisfaire 50 % de la demande française. C'est un des enjeux de la future PAC 2023 en négociation, qui prévoit des "éco-régimes" spécifiquement subventionnés. 

Enfin « la productivité dans le monde agricole est un équilibre fragile entre l'environnement, le social et l'économie », dit Sébastien Abis sur France Info, et le problème est aussi interne à la filière. Les rapports de force en défaveur des producteurs continuent de tirent les prix agricoles vers le bas malgré la Loi Egalim de 2018 : « économie de destruction » disent 143 députés ds le JDD, alors que 4 organisations d’agro-industriels lancent leur appel : « compléter EGAlim ou renoncer à la souveraineté alimentaire, il faut choisir! »

XM  

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