Les GAFA sont-ils au seuil du démantèlement ?

Le PDG d'Apple Tim Cook en visioconférence, lors de l'audition des quatre dirigeants devant le Congrès en juillet. Après le rapport mardi, Apple se défend : "La concurrence est le moteur de l'innovation, et l'innovation nous a toujours définis."
Le PDG d'Apple Tim Cook en visioconférence, lors de l'audition des quatre dirigeants devant le Congrès en juillet. Après le rapport mardi, Apple se défend : "La concurrence est le moteur de l'innovation, et l'innovation nous a toujours définis." ©AFP - Graeme Jennings
Le PDG d'Apple Tim Cook en visioconférence, lors de l'audition des quatre dirigeants devant le Congrès en juillet. Après le rapport mardi, Apple se défend : "La concurrence est le moteur de l'innovation, et l'innovation nous a toujours définis." ©AFP - Graeme Jennings
Le PDG d'Apple Tim Cook en visioconférence, lors de l'audition des quatre dirigeants devant le Congrès en juillet. Après le rapport mardi, Apple se défend : "La concurrence est le moteur de l'innovation, et l'innovation nous a toujours définis." ©AFP - Graeme Jennings
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Démanteler les GAFA : c’est ce que veulent les élus Démocrates dans un rapport présenté mardi au Congrès. Pas encore de nouvelle loi Antitrust, mais les quatre géants du numérique provoquent un réel changement dans la vision de la concurrence américaine, et au-delà.

L’emprise des plateformes numériques inquiète sérieusement les autorités politiques américaines et les conclusions des élus de la Chambre vont secouer les deux mamelles des GAFA : imposer l’obligation de compatibilité avec leurs concurrents, et une « séparation structurelle » des plateformes et des secteurs avec lesquels elles interagissent, autrement dit : le démantèlement. 

Le rapport est particulièrement offensif : sur 449 pages, il dénonce 120 fois des « monopoles » numériques issus d’« acquisitions meurtrières » et qui renvoient à « l’époque des barons du pétrole et des magnats des chemins de fer ». 

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Et ses conclusions sonnent comme une sentence : Facebook privé d’Instagram et Whatsapp, Google sans Youtube, Amazon ou Apple sans la possibilité de placer leurs produits en tête : c’est le nouveau monde qu’envisagent désormais les Représentants. 

La machine de l’ « Antitrust » en pleine évolution : ce n’est plus seulement la taille qui compte 

La taille, et la capacité à décider des prix, sur lesquelles se concentraient les autorités de la concurrence américaine (FTC) pour identifier les entraves au marché. Les GAFA sont un vrai pavé dans la mare des lois sur la concurrence et les autorités ont dû réviser leurs indicateurs, pour se concentrer sur les vrais outils des plateformes : 

Les données qui ne sont pas seulement un business, mais « un avantage concurrentiel extraordinaire pour identifier les marché inexploités ou non desservis et repérer de potentiel concurrents » ; et les « effets de réseau » qui induisent des « monopoles naturels » sur des masses de consommateurs captifs. 

Dans le viseur : l’App Store incontournable des utilisateurs d’appareils Apple, considéré comme monopolistique, ou le rachat préventif d’Instagram par Facebook en 2012, parce qu’il était perçu « comme une menace » dit un juge.

Vers un changement historique pour la législation sur la concurrence ? 

Signe funeste, note Benjamin Ferran dans Le Figaro : l’omniprésence du terme « Big Tech » – même dans les textes officiels – qui supplante presque celui de GAFA et renvoie à l’époque des premiers grands démantèlements du début du XXème siècle. 

C’est là où le feuilleton judiciaire rejoint la Grande Histoire : celle du Sherman Antitrust Act de 1890, premier à interdire les monopoles. Même si - pour l’anecdote - sa première cible a été le syndicat des travailleurs de la Nouvelle Orléans, il a permis de réguler les empires économiques montants de la Standard Oil, American Tobacco ou General Electric. 

A l’époque, Sherman avait fait un vibrant discours sur le peuple américain qui ne se mettait à genoux devant aucun roi… Inspiration qu’on retrouvait lors de l’audition des quatre dirigeants des GAFA par le Congrès en juillet, chez le Sénateur Démocrate David Cicilline :  
 

« Leur capacité à dicter leurs conditions, à décider du jeu, à mettre à bas des secteurs entiers et à inspirer la peur équivaut au pouvoir d’un gouvernement privé. Nos Pères Fondateurs ne se sont pas agenouillés devant un Roi, nous ne nous mettrons pas à genoux devant les Empereurs de l’économie immatérielle ! »

Les GAFA se défendent comme ils peuvent, Amazon regrette la « pensée erronée » qui tient « les grandes entreprises pour dominantes par définition » ; Apple, décrit l’App Store presque comme s'il s'agissait d'une entreprise de service public.   

Démantèlement ou pas : le débat commence à peine ?

Les Démocrates soutiennent le démantèlement mais certains Républicains réticents ne mâchent par leurs mots, l’un deux parle de « vision d’extrême gauche ».  

D’autres ne sont pourtant pas opposés à une législation renforcée : le Sénateur du Colorado Ken Buck inquiet d’une capacité d’innovation affaiblie propose une « Troisième Voie » : « procéder avec un scalpel et non une tronçonneuse », c’est-à-dire une extension des droits des consommateurs et un contrôle plus serré des fusions-acquisitions. 

Rien ne bougera avant les élections de novembre. En attendant, les autorités judiciaires ont déjà durci la lutte : plusieurs enquêtes sont en cours et selon le WSJ la FTC se préparerait à lancer des poursuites Antitrust contre Facebook avant la fin de l’année. 

« Vivre avec les GAFA » : l’Union Européenne moins offensive ?  

D’un côté, le Digital Services Act que prépare la Commission pour décembre est moins agressif que les propositions américaine car elle ne s’en prend pas frontalement aux monopoles : elle parle de « plateforme structurante », et dit vouloir « garantir sa souveraineté numérique ». Les mesures – sur la liberté des utilisateurs, les contenus haineux ou illégaux – relèveraient d’ailleurs plutôt du « scalpel » que de la « tronçonneuse ».

Cependant dans la presse, le Commissaire au numérique Thierry Breton est plus offensif, qualifiant les GAFA de « Too Big too care », trop gros pour être responsables, et évoquant même dans le Financial Times une possible « structural separation », voire une exclusion du marché unique.  

Et en un sens la Commission va beaucoup plus loin que le Congrès US avec un projet qui, sans les démanteler, obligerait les GAFA à partager leurs données : autrement dit la poule aux œufs d’or ; mais peut-on partager une poule vivante ?    

XM

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