Logistique : l'intendance ou l'interdépendance ?

Le 14 décembre : des palettes en attente de transfert depuis le port belge de Zeebrugge vers le Royaume-Uni. La Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient dans la tête du classement logistique de la Banque Mondiale en 2018, la France seizième.
Le 14 décembre : des palettes en attente de transfert depuis le port belge de Zeebrugge vers le Royaume-Uni. La Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient dans la tête du classement logistique de la Banque Mondiale en 2018, la France seizième. ©AFP - Kenzo Tribouillard
Le 14 décembre : des palettes en attente de transfert depuis le port belge de Zeebrugge vers le Royaume-Uni. La Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient dans la tête du classement logistique de la Banque Mondiale en 2018, la France seizième. ©AFP - Kenzo Tribouillard
Le 14 décembre : des palettes en attente de transfert depuis le port belge de Zeebrugge vers le Royaume-Uni. La Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas étaient dans la tête du classement logistique de la Banque Mondiale en 2018, la France seizième. ©AFP - Kenzo Tribouillard
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2020 restera aussi l’année de la logistique : un secteur qui s’est révélé crucial pendant la pandémie. Désormais, il ne faut plus dire « l’intendance suivra », mais bien : l’intendance précède.

2020 a bien été l’heure de gloire de la logistique - selon l’anglicisme utilisé - de la Supply Chain, la chaîne d’approvisionnement. La pandémie a révélé les lacunes des stocks publics – masques ou médicaments – mais aussi la vitalité du secteur logistique privé en France dit Eric Haensen dans Les Echos : c'est une une croissance d’activité de 20 % pour les transporteurs logisticiens, 30 % chez Colissimo (filiale de la Poste) et une hausse des colis de 175 % pour l’e-commerce de la grande distribution. 

Et si « l’hiver sera celui de tous les défis » avec la campagne de vaccin qui a débuté le week-end dernier - des millions de doses à distribuer des aéroports aux hôpitaux, puis dans les points de distribution locaux en moins de 5 jours pour ne pas casser la chaîne du froid - les professionnels se montrent confiants : comme la distribution se fera en plusieurs phases, il ne faudrait que « quelques centaines » de camions réfrigérés alors que la France en possède des milliers.   

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Une reconnaissance nouvelle pour les acteurs de l'approvisionnement 

Reconnaissance professionnelle d’abord, explique cette fois Julien le Bolzer dans Les Echos : avec des compétences très demandées, des entrepôts jusqu’aux start up, des fonctions de "supply chain" qui augmentent au sein des comités exécutifs ; et un marché de l’emploi équilibré, voire une tension sur des métiers « très bankable » : direction de site logistique,  responsable transport, chef de projets, pour une rémunération de 75 000 à 200 000 euros annuels.   

Reconnaissance politique ensuite, avec au début du mois un « plan logistique » du gouvernement de 1,7 milliards d'euros et 16 mesures pour moderniser et verdir le secteur ; ceci après un premier plan l’année dernière, qui proposait déjà un assouplissement des réglementations et de la fiscalité pour multiplier les entrepôts. 

Faiblesses dans le secteur ?  

Les professionnels et l'Etat sont préoccupé par le déficit de compétitivité : En 2018, la France n’était qu’au seizième rang international selon la Banque Mondiale, et cela ne tient pas qu’à sa taille puisque l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas sont dans la tête du classement.

Deux autres faiblesses étaient pointées en 2019 : la fluidité aux frontières – cruciale au moment du Brexit – et les lacunes du fret et du transport fluvial pour lesquels le nouveau plan prévoit 870 millions d'euros.  

Une troisième est peut-être négligée, relèvent dans Le Monde le chercheur Rhida Derrouiche et ses collègues de l’EM Strasbourg Business School : la logistique des TPE et PME, 99 % des entreprises françaises aux marges coincées entre leur petite camionnette et la multiplicité des points de livraison.  Selon eux, une mutualisation de leurs transports via une plateforme du type « Blablacar » permettrait de réduire de 20 % à 45 % leurs coûts, mais aussi la pollution et les accidents routiers : vertu « sanitaire » soulignent-ils…  

Pas de révolution mondiale des approvisionnements, pas de remise en cause des grands choix logistiques ?  

La crise n'a pas entraîné de grande relocalisation, malgré les déclarations d’indépendance économique des dirigeants. C'est ce prédisait en juin dans The Conversation l’un des spécialistes du sujet Aurélien Rouquet, considérant que la pandémie ne changeait pas les fondamentaux : localisation des matières premières, chaînes de valeur fragmentées et dumping salarial. Il y a bien « une diversification des stratégies d’approvisionnement, mais ce n'est pas la fin de la mondialisation», confirme un récent sondage Euler / Hermès.

Car la logistique mondiale ne vise seulement à approvisionner les usines en réduisant les délais, mais à fournir aux consommateurs le plus large choix de produits personnalisés : c'est par exemple la stratégie de l'agroalimentaire, mais aussi de PSA depuis les années 80, expliquait déjà en 2005 un autre spécialiste Jacques Colin dans la Revue Française de Gestion : le problème n’est pas de gérer la pénurie comme dans l’après-guerre, mais une hyper-abondance des produits.  

Dans ce vrai monde-d’après-déjà-là, le flux est tout, le stock est l’ennemi, il détermine l’action de tous les secteurs des grandes entreprises au point que J. Colin le demande : la logistique, autrefois affaire d’ingénieurs – « existe-t-elle réellement » ? Plus de stock, plus de problème logistique ça paraît logique ; ce qui renvoie à l’étrange film Seul au monde en 2000, qui suit un ingénieur logistique (joué par Tom Hanks) chargé d’améliorer la productivité des entrepôts de Fedex, perdu quatre ans sur une île déserte après un accident d’avion : « qui sait ce que la prochaine vague peut nous apporter », conclut le sage logisticien…    

XM