

L’OCDE fêtait lundi ses 60 ans. Héritière de la gestion du Plan Marshall d'après-guerre, l’Organisation de Coopération et de Développement Economique est devenue le symbole d’une coopération multilatérale efficace ; et l’outil privilégié des politiques libérales ?
L’OCDE, c’est un peu l’apprentissage forcé du multilatéralisme économique après la seconde guerre mondiale et l’injection d’une dose de libéralisme en Europe ; puisqu’à cette époque troublée de 1947-1948, les Etats-Unis inquiets de la poussée des partis communistes européens posaient une condition à l’utilisation des millions de dollars du Plan Marshall : l’adoption d’une structure commune - l'OECE - pour superviser leur distribution et garantir l’ouverture libre-échangiste des marchés.
Finalement les premiers embryons de la CEE ont pris le relais politique dans les années 50 mais la structure est restée et l’OCDE qui a succédé à l'OECE s’est élargie mondialement : de 20 pays en 1960 à 37 aujourd’hui. Elle continue de gagner des adhérents, particulièrement en Amérique Latine et les Etats-Unis, premier contributeur au budget, sont restés : une attractivité rare, comparée aux déboires de l’OMC et du G8 de ces dernières années, et malgré des critères d’adhésion sévères.
Le « club des pays riches » ?
Après les crises des années 90, l'organisation est devenue « le bras armé des pays du G20 pour faire des recommandations de politique économique » écrit Fabrice Nodé-Langlois dans Le Figaro : parce qu’elle représente 60 % du PIB mondial ; qu’elle est une gigantesque agence d’étude et de comparaison des politiques publiques, plus de 500 rapports par an, de la beuverie chez les jeunes à l’intelligence artificielle en passant par l’emploi et bien sûr le célèbre PISA sur l’éducation ; et parce que « l’économie de marché ouverte et réglementée » est la première condition à l’adhésion de ses membres.
Déréglementations des marchés des biens, services et travail, renforcement des règles budgétaires ou monétaires, pour fournir aux marchés une « cohérence temporelle » des politiques publiques comme on le lisait lors du cinquantenaire dans Perspectives économiques, l’une de ses publications : cette orientation libérale en partie héritée a peut-être favorisé certaines approches trop comptables, suggérait en 2011 dans L’humanité Martine Durand, la directrice des études statistiques de l’OCDE.
Les critiques faites au rapport PISA sont souvent de cet ordre : trop abstrait, trop axiomatique, au risque de "dévider des évidences", écrivent deux universitaires dans The Conversation.
Un « tournant social » ?
On était en pleine crise grecque, et c’est à partir de cette époque post 2008 qu’apparaissent de nouveaux indicateurs et une série étonnante de rapports sur les inégalités : le plus remarqué en 2012 était illustré par la montgolfière des 1 % les plus riches s’élevant gracieusement au dessus de celle clouée au sol par les 99 % restant qui voulaient monter à bord.
« Le social à fond » disait à ce moment-là le Secrétaire Général Angel Gurria, inquiet d’ « attiser des sentiments populistes, protectionnistes et antimondialisation » : assez pour que le journal Le Temps y voie en 2014 la « conversion» de l’OCDE aux thèses de Thomas Piketty mais insuffisant pour qu’elle « tourne [vraiment] casaque », estimait Le Monde Diplomatique.
Reste que depuis 2018, c’est l’ancienne conseillère de François Hollande, Laurence Boone, qui est la cheffe économiste de l’organisation, elle qui insistait il y a deux semaines dans Le Figaro sur les « revenus de substitution » pendant la crise, la réduction du chômage, l’aide aux pays en développement, ou les jeunes et les enfants défavorisés…
Le risque de l'inefficacité ?
Il guette toujours : Il y a 15 ans l'OCDE était « un truc poussiéreux, techno, des comités incompréhensibles, de la norme molle qui conduisait nulle part. Ce n'était pas la belle endormie, c'était la moche endormie » disait d’elle un officiel à l’AFP. Même Pascal Saint-Amans, devenu responsable de la taxe sur les multinationales, y voyait « une organisation de seconde zone ».
Le réveil est venu sous la double impulsion des crises systémiques, et de son Secrétaire Général, le truculent et ambitieux Angel Gurria, qui avait déclaré dès 2005 vouloir faire de l’OCDE le « secrétariat général de la mondialisation ».
L’organisation a ainsi supervisé et calculé les nouvelles règles macro et micro-prudentielles bancaires, budgétaires et monétaires après 2008 à l’initiative du G20 ; et parmi les réalisations les plus « tangibles », écrit Richard Hiault dans Les Echos, on trouve aussi la fin du secret bancaire mis en place en 2009, 102 Mrd € de recettes fiscales récupérées : une première image de l’Everest de la lutte contre l’évasion fiscale à gravir.
2021 : année test pour la coopération et l’orientation politique de l’OCDE ?
Le premier test sera la "taxe GAFA" qu’Emmanuel Macron veut établir pour 2021 : les négociations à 135 pays ont achoppé en juillet avec le retrait subit des Etats-Unis, soucieux de ne pas cibler la Silicon Valley, et qui voudraient l’étendre à toutes les multinationales.
Or ce dossier est lié à un second tout aussi épineux : le choix d’un nouveau secrétaire général pour le mois de juin. Parmi les 10 candidats les plus en vues, l’américain Christopher Liddel, un bon connaisseur des dossiers internationaux mais proche de Donald Trump et des grands groupes, ou encore Philipp Hildebrand, ancien gouverneur de la Banque Nationale suisse et vice-président du fond Black Rock. Avec l’importance des ses multinationales, la Suisse aurait aussi intérêt à faire « main basse sur l’OCDE » dit Le Temps : pas tout à fait le chant de l’Internationale socialiste.
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