

Une femme africaine élue hier à la tête de l’OMC : décision historique pour l' Organisation Mondiale du Commerce. La nigériane Ngozi Okonjo-Iweala rénovera-t-elle le libre-échangisme ?
Même si elle réfutait hier une prime à la « diversité », le choix de Ngozi Okonjo-Iweala est déjà une rupture : première femme élue directrice générale de l’organisation et première africaine après six hommes de tous les continents, à l’exception de l’Antarctique.
Dans une OMC critiquée et affaiblie, le profil de l’élue innove face aux « technocrates » (dit le Monde) qu’étaient la plupart de ses prédécesseurs et de ses sept autres concurrents : non plus une diplomate ou avocate rompue aux négociations commerciales, mais une économiste du développement et financière, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale et ex ministre des finances du Nigeria pendant 6 ans.
Ngozi Okonjo n’est « pas quelqu’un qui se cache dans les Hilton », disait il y a quelques années un de ses anciens collègues aux Echos, elle a accompagné avec un certain succès le redémarrage économique éclair du Rwanda et l’assainissement financier de son propre pays rongé par la corruption et la dette : c’est elle qui avait négocié en 2005 avec le Club de Paris un allègement de 18 milliards de dollars pour le Nigéria.
Une « dame de fer » pour quoi faire ?
Serge Daniel rappelait dans Le Monde en 2013 que son intransigeance qui avait coûté leurs postes à quelques officiels, avait aussi valu à Ngozi Okonjo-Iweala des menaces de mort, l’enlèvement de sa mère et le doux surnom d’« Okonjo l’emmerdeuse ».
Mais l’expérience internationale a compté : dans Le Monde toujours, un diplomate affirme qu’on cherchait « une dirigeante qui puisse s’adresser directement aux chefs d’Etat et qui trouve des compromis ». Et la première mission de la Directrice Générale sera justement de définir son propre rôle explique le Financial Times : simple « super-secrétaire » des Etats, ou plus décisionnaire comme en son temps le français Pascal Lamy.
Ngozi Okonjo pourra-t-elle fixer le cap d’une OMC à la dérive ?
Ce choix est un signal donné par les 164 membres d’une OMC qui n’a jamais été aussi faible, et son changement de direction rarement autant politisé, glissait un diplomate aux Echos : garante d’un libre-échange régulé, mais sans accord majeur depuis 20 ans, court-circuitée par les accords régionaux, paralysée par le « plurilatéralisme » et dévorée vivante dans « la nouvelle ère de protectionnisme » inaugurée par Donald Trump, écrit le Financial Times.
Sans moteur, l’organisation avait aussi perdu son gouvernail l’année dernière avec la démission surprise de l’ancien DG : le brésilien Roberto Azevedo parti rejoindre Pepsi Cola ; et aucun directeur intérimaire n’avait pu être désigné, Donald Trump qui souhaitait une direction offensive envers la Chine bloquait tout le processus.
La nouvelle administration Biden a permis à la fumée blanche de sortir et hier, Ngozi Okonjo-Iweala déclarait vouloir une OMC « plus forte, plus agile et mieux adaptée aux réalités d'aujourd'hui » ; mais pour une organisation proche de la « mort clinique » (écrivait déjà en 2019 Richard Hiault dans Les Echos), sa réforme longtemps évoquée sera d’abord une réanimation.
Le revivification du libre-échange passera-t-elle par le Sud ?
Fait inédit également : trois pays africains ont présenté des candidats, alors que continent est le perdant de la mondialisation avec seulement 2,5 % des échanges, _r_appellent Laurence Caramel et Julien Bouissou dans Le Monde.
Il n'est pas cependant pas acquis que Ngozi Okonjo exporte « la puissance nigériane à la tête de l’OMC » comme titre le Financial Times : la bataille a été rude entre les deux Ctés économiques de l' Ouest et de l'Est-africaine, après que le Kénya eut choisi de présenté in extremis sa propre candidate.
Et si les priorités évoquées par la nouvelle directrice sont bien celles des pays à revenus faibles ou intermédiaires, notamment l’assouplissement des brevets pour produire les vaccins anti-Covid, le sujet est déjà une source de clivage avec les pays riches grands producteurs pharmaceutiques.
Réanimer l’Organisation Mondiale du Commerce elle-même ?
La première preuve d'un retour du consensus serait le rétablissement de l’ORD, l’Organe de Règlement des Différents, bloqué par les Etats-Unis depuis décembre 2019. Malgré une cour d’appel temporaire mise en place par l’UE et 16 autres pays, « il est clair qu’un système de règles sans forum pour arbitrer efficacement des infractions perd de la crédibilité au fil du temps » disait la candidate en juillet dernier devant les membres de l’OMC.
Il faudra aussi apaiser les tensions commerciales entre ses membres, les Etats-Unis s’étant engagés dans une bataille de droits de douanes avec la Chine et l’Union Européenne ; l’UE aussi visée par certains pays asiatiques : la six-centième plainte de l’OMC il y a un mois est celle de la Malaisie contre les restrictions qu'elle a prises sur l’huile de palme.
Le véritable test serait la conclusion des grands cycles de négociations : celui de Doha qui avait échoué en 2006 sur la propriété intellectuelle et l’agriculture, ou celles qui doivent réguler les subventions à la pêche et limiter la surpêche, autre sujet clivant.
Ngozi Okonjo-Iweala qui prendra ses fonctions le premier mars se dira peut-être ce qu’elle s’était dit le premier jour en tant que ministre des finances : « Mon Dieu ! C’est complètement fou, tu viens de faire la pire erreur de ta vie !
XM
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